LA LIGNE CHAUVINEAU
SECTEUR DE
L'ISLE-ADAM
Historique du 21e Régiment d'Infanterie
13e Division d'Infanterie
Bataille de l'Oise, 9-13 juin 1940
Vous trouverez ci-dessous la transcription de l'historique sommaire du 21e Régiment d'Infanterie pour la période concernée par les combats pour la défense des passages de l'Oise à L'Isle-Adam.
9 JUIN. – A 10 heures, le 21e
R.I. commence à se regrouper à Noailles. A 12 heures, la D.I. reçoit l’ordre de
se porter sur l’Oise, entre L’Isle-Adam et Persan-Beaumont pour interdire la
traversée de la rivière à l’ennemi.
A 14 h. 30, départ du 21e R.I. vers L’Isle-Adam par Sainte-Geneviève
et Puisieux. Chacun – qui n’avait exécuté les replis
précédents qu'à regret - espérait bien que la coupure de I'OISE serait la
dernière position à défendre, qu'elle servirait de base de départ pour
l'offensive et qu'elle constituerait une « deuxième Marne ».
Du fait des durs combats défensifs devant AMIENS et sur les lignes successives
de replis, l'effectif des unités avait largement diminué; des vides nombreux
s'étaient déjà produits parmi les cadres; le matériel détruit par le feu de
l'ennemi n’avait pu être remplacé. Les Compagnies étaient en général réduites à
2 Sections de combat - au lieu de 4 soit 80 et 100 hommes par Compagnie.
Les moyens de feux de l'Infanterie - F.M. et mitrailleuses - étaient réduits de
plus de moitié. Quoique partiellement ravitaillées en munitions, les unités ne
disposaient pas des quantités nécessaires pour se « payer le luxe »
d’une abondante consommation.
Dans la journées du 10, quelques hommes et gradés
ainsi que quelques armes automatiques provenant du C.i.D.
arriveront en renforts et seront répartis dans les unités (environ 40 à 60
hommes par R.I.). Et pourtant ces Régiments réduits dans leurs effectifs et
leurs moyens offriront à L’Isle-Adam une
telle résistance aux attaques réitérées de l'ennemi que celui-ci pourra croire
qu'il a devant lui des troupes fraîches non décimées.
C'est vers 20 heures, le 9 juin, après une étape 30 kilomètres, qui n'avait été
précédée que par un long repos de trois heures à Noailles, que la 13e
D.I. commença à arriver à l'Isle-Adam.
Un premier ordre prévoyait une occupation immédiate de la rive Sud d I'OISE,
mais un second prescrivit le regroupement de l'Infanterie dans la forêt de
L’Isle-Adam de part et d'autre de la Route Nationale, à hauteur de la maison
forestière de la Grille de L’Isle-Adam et, pour l'artillerie, l'installation
dans des cantonnements situés aux lisières Nord-Est et Sud de la forêt.
Aucun incident à signaler dans la nuit du 9 au 10 juin.
10 JUIN. - Après une nuit de repos qui fit oublier aux hommes les fatigues
des jours précédents, les unités, le 10 au matin, étaient en état physique et moral
d'accomplir la mission de sacrifice qui va leur être confiée. La période de
détente qui augmente la valeur combative et le bel esprit de la troupe, la
remise en ordre et le ravitaillement dans la zone calme du rassemblement peut
se prolonger jusque vers le milieu de l’après-midi.
Vers 13 heures, l'ordre de défense du Secteur de l'Isle-Adam parvient aux Chefs
de Corps qui procèdent aux reconnaissances.
La défense est organisée. Il est constitué trois sous-secteurs : le 8e
R.T.M. tient la ville de 1'Isle-Adam : le 21e R.I. occupe la
partie Sud de la ville et le terrain s’étendant au Sud de L’Isle-Adam jusqu 'à Stors exclu; le 60e R.I.
(2 Bataillons) est à droite du 8e R.T.M.
L’artillerie divisionnaire est répartie en divers groupements pour l’appui
direct des trois Régiments d'Infanterie ou pour l'action d'ensemble dans le
secteur de la D.I.
Au cours de la bataille, certains groupements devront en plus fournir des tirs
au profit de la 16' D.I. dans la régions de PERSAN -
BEAUMONT - CHAMPAGNE. La mise en place du dispositif se fait entre 17 et 21
heures.
L'ordre de défense se résume dans la mission d'interdire le passage de l'Oise
sans esprit de recul. Chacun est conscient de la gravité de l'heure, une
immense et inflexible volonté d'arrêter l'ennemi anime tous nos combattants.
Dans les Compagnies, si les hommes sont moins nombreux que douze jours
auparavant, ils sont plus aguerris. Dès le soir, le terrain est organisé avec
activité, les plans de feux sont établis, contrôlés à tous les échelons du
Commandement, les liaisons prises. Les hommes creusent le sol
, utilisent les obstacles, les blockhaus inachevés déjà existants sur la
rive, ils réalisent un camouflage des armes automatiques qui étonnera
l'adversaire.
Le 10, à la nuit, les ponts sur l'Oise sautent, à l'exception du barrage-écluse
non détruit par ordre d'une autorité supérieure à la division.
Nuit calme. Aucun contact avec l’ennemi.
11 JUIN. – La matinée est mise à profit pour perfectionner l'organisation
défensive des quartiers, des P.C., pour vérifier les liaisons entre les points
d'appui ou avec les groupes d'artillerie.
Passage de convois de réfugiés sur la route de Champagne; derrière eux,
l'ennemi s'approche.
A 11 heures laboures, premiers coups de feu échangés entre les défenseurs du
quartier Nord (60e R.I.) et les éléments peu importants d'avant-garde ennemis.
Dans l'après-midi, l'action se développe progressivement : les fantassins
ou éléments motorisés allemands se présentent plus nombreux sur la rive Nord de
l'Oise, surtout dans la zone entre Champagne et Parmain.
Action brutale de nos armes automatiques qui infligent des pertes sérieuses à
ces premières unités ennemies.
L’artillerie allemande arrive assez rapidement , se
met en batterie et commence à exécuter quelques bombardements systématiques sur
la ville, la forêt, les voies de communication, les P.C. L’artillerie de la 13e
D.I. riposte et exécute avec beaucoup de précision les tirs de concentrations
demandés par l’infanterie sur les pentes de la rive droite. Vers la fin de
l’après-midi, les unités d'infanterie ennemi se présentent de plus en plus importantes
et nombreuses sur les pentes. Le feu des F.M. et des mitrailleuses, joint aux
tirs d'arrêts de l'artillerie amie, bloque les fantassins allemands qui
subissant des pertes très sévères, constatées en particulier sur les pentes
qui, de Champagne, descendent vers l'Oise où un bataillon est anéanti par le
feu intense de la défense.
Peu d’aviation. Un remaniement du front de la D.I. est envisagé; le 21e
R.I. passerait à la droite du 60e (vers la ferme des Vanneaux); le secteur
laissé par la D.I. serait pris dans la soirée ou la nuit par la 241e
D.I.
On s'attend donc à la relève au plus tard pendant la nuit, mais celle-ci ne
peut s'effectuer, l'unité relevante, pour une cause
inconnue, n'étant pas arrivée. Seules, quelques rares sections du 264e R.1. se présentent, mais restent en arrière, à la hauteur de la
ligne de soutien des sous-secteurs des trois Régiments. Aucune désillusion
parmi nos fantassins qui, ayant vu à l’œuvre l'artillerie divisionnaire et confiants dans la puissance de leurs organes de feux,
éprouvent un sentiment de sécurité et de force.
La nuit arrive, mais aucun repos ne saurait être envisagé, puisque le contact a
nettement été pris. Sur la rive gauche de l'Oise, chacun reste 1'oreille aux
aguets; les armes automatiques sont en position de tirs repérés; la confiance
est générale, l'ennemi ne passera pas.
Dans la nuit du 11 au 12, tirs fréquents de notre artillerie sur les lignes
atteintes par les Allemands dans la région de CHAMPAGNE, JOUY-LE- COMTE,
PARMAIN.
l2 JUIN. - Dès
4 heures du matin , les batteries allemandes ouvrent
un feu très violent: tout indique qu'il s'agit de tirs de préparation à une
attaque d'infanterie en force en vue du franchissement de l'Oise. Toute la zone
de la D.I. est pilonnée; les tirs massifs de l'artillerie allemande dureront
sans interruption jusqu'à la nuit tombante. Malgré les pertes, notre infanterie
est cramponnée au sol, prête à arrêter l'adversaire dès qu'il tentera la
traversée de la rivière (15 groupes d'artillerie allemande contre les 5 groupes
réduits de la 13e D.I.).
Notre artillerie, toujours aussi active, répond au tir adverse et exécute
fidèlement, rapidement et avec précision tous les tirs prévus et demandés par
les Commandants de sous-secteurs de Régiments et de quartiers de Bataillons.
Cependant, peu à peu, les fantassins allemands utilisent boqueteaux et vergers,
descendent les pentes nord et ouest de l'Oise et, au prix de lourdes pertes
infligées par le feu de nos armes automatiques tirant à cadence rapide,
garnissent la rive droites de l'Oise.
Des tentatives de passage à la nage ou en bateaux pneumatiques ont lieu en fin
de matinée et dans l'après-midi, tentatives appuyées par l'artillerie sous la
forme de tirs d'appui directs appliqués principalement. sur
notre première ligne - ligne principale de résistance - qui occupe dans les
sous- secteurs de Régiment la berge même de la rivière. Les occupants de cette
première ligne voient leur nombre diminuer; les trous individuels, les
tranchées s'emplissent de cadavres et de blessées, on a l'impression de vivre
dans un enfer; des liaisons téléphoniques sont rompues, puis rétablies sous le
feu; les P.C., à certains moments, ont la pénible impression de se sentir en
liaison incertaine avec les unités; les conditions du combat deviennent de plus
en plus dures, mais la résistance ne fléchit pas et l'idée d'un repli n'est
acceptée par personne. Le Capitaine Chabonnier, commandant
la 7e Compagnie, est blessé à son poste de combat.
Pendant la plus grande partie de la journée, tous les essais de franchissement
de vive force de 1'Oise par les Allemands sont enrayés. Sur le front du 21e
R.I., les armes automatiques ont été parfaitement camouflées et enterrées dans
le sol même de la rive, entre l'usine à gaz et les abords de Stors; les extrémités des canons de F.M. et des
mitrailleuses installés dans des sortes de puits, sortent de la berge à
quelques centimètres du niveau de l'eau; les feux croisés de ces armes
automatiques constituent une nappe infranchissable de projectiles au ras de la
rivière; dès qu'un groupe ennemi tente de pousser une embarcation vers la rive
gauche, il est mis hors de contrat. Du fait de ces dispositions judicieuses,
grâce surtout à la ténacité et au courage invincibles des cadres et de la
troupe des 1er., et 2e. Bataillons du 21e pourtant
décimés, aucun Allemand ne mettra le pied sur la rive Est dans ce sous-secteur.
En fin d'après-midi, malheureusement, des infiltrations ennemies se produisent.
Les Allemands utilisent le barrage-écluse non détruit, prennent pied sur la
rive gauche, s'étalent eu direction de la Faisanderie, pénètrent lentement dans
les lignes du sous-secteur du 8e R.T.M. Une contre-attaque est montée
rapidement au 8e R.T.M. auquel viennent se joindre quelques groupes du 60e R.I.
et des hommes du 264e R.I.; une section de mitrailleuses est constituée avec
deux pièces récupérées sur le terrain. Ce groupement hétérogène s’organise avec
ordre et rapidité, et d'un seul élan, appuyé par un tir d'artillerie et celui
des mitrailleuses, progresse, reprend pied sur le terrain précéderaient évacué,
réoccupe la position. Les Allemands, devant cette action brutale menée à vive
allure, restent sur le terrain ou repassent rapidement de l'autre côté de
l'Oise. Cette contre-attaque rapide et énergique nous a fait subir des pertes
insignifiantes. La réaction ennemie se manifeste par un redoublement de son
bombardement, mais nulle part, il n'ose plus tenter le passage de l'Oise.
La 13e D.I. avait magnifiquement rempli sa mission.
A la nuit, on constatait dans tel ou tel sous-quartier de Compagnie que les
effectif étaient devenus squelettique, que les cadres étaient gravement
réduits, que les postes de secours regorgeaient de blessés, mais les Allemands
avaient éprouvé la force de résistance des défenseurs, ils devaient reconnaître
leur échec, alors que leurs forces très supérieures leur auraient permis sans
doute de bousculer dans une dernière attaque les « survivants » de la
13e D.I.
A la nuit, l'ordre arrivait d’un nouveau repli. La 13e D.I. étant
découverte à sa gauche (Mériel) devait se replier en
direction de Paris et couvrir la capitale aux lisières Nord d’Enghien, de
Saint-Gratien et de Deuil.
L’idée de résistance dominait tellement dans 1es unités que, de prime abord, personne
ne voulait croire à l'exactitude de cet ordre de retraite. Le compte rendu d'un
Commandant de quartier est, dans son laconisme et sa mauvaise humeur,
magnifiquement éloquent: « Situation le 12 juin, à 22 heures, l'ennemi
nous ayant tourné à gauche, nous recevons l'ordre de repli. Réaction à tous les
échelons : mécontentement.
Au 21e R.I. les deux Commandants de 1ère échelon, ne
voulant pas croire à un repli alors que l'ennemi avait subi un échec marqué, se
faisaient répéter et confirmer le même ordre. Des hommes exprimaient au chef de
corps leur volonté de ne pas abandonner un terrain qu’ils avaient si
courageusement défendu.
Malgré que l'infanterie de la l3e D.I. eut réussi à se
maintenir sur la rive gauche de l'Oise, malgré l'insuccès des Allemands, devant
la ténacité des unités et la science des artilleurs, il fallut exécuter la
marche en retraite vers le Sud.
Les derniers éléments des Régiments d’Infanterie se rassemblèrent en bon ordre dans la nuit du 12 au 13, se remirent en route, la mort dans l’âme, vers Enghien, décimés mais non vaincus. Nul ne les inquiéta.
Un dernier poste oublié par l’agent de liaison chargé de la diffusion de
l’ordre ne se rendit compte de la situation que vers 5 heures, le 13 au matin,
en voyant soudain les fantassins allemands à courte distance de lui.
Habillement, il réussit à se décrocher et à rejoindre son unité.
Des documents ennemis peuvent servir de conclusion à cet aperçu de la défense
invaincue réalisée à L’Isle-Adam par la 13e D.I.
Le reporter militaire allemand du poste de radio de Zeesen
disait, à l’occasion de ces combats sur l’Oise : « Nos troupes se
sont trouvées devant des troupes françaises qui ont opposé une forte résistance
à notre avance. Nous nous sommes trouvés devant une artillerie dont le tir
s‘est révélé d’une précision étonnante. Il y avait là des troupes
d’élite ».
Dans une revue militaire allemande, un officier appartenant à la division de
Haute-Silésie engagée devant L’Isle-Adam déclarait le 21-6-41 :
« La Division de la Haute-Silésie éprouvait à ce point décisif le jour
le plus dur et le plus honorable de la guerre en rencontrant un adversaire qui,
se battant avec le courage du désespoir, était résolu à risquer le tout pour le
tout et luttait littéralement pour chaque trou de tirailleur, chaque
emplacement de tir et chaque haie. Le tir furieux des mitrailleuses et des
canons, dont les « nids » étaient introuvables, nous éprouvaient
beaucoup. La Division a compris dans ces heures terribles, toute la valeur de
l’art du camouflage que le Français comprend parfaitement et pas seulement sur
l’Oise ».
13 JUIN. – Dans la nuit du 12 au 13, le Régiment, par la route Nationale
n°1, fait mouvement vers le Sud ; le déplacement est effectué lentement et
avec peine tant du fait de la fatigue après les dures journées de combat de
l’Oise que de l’embouteillage des routes et des barrages antichars dans les localités.