Description : Description : Description : Description : http://lignechauvineau.free.fr/Gif/francec.gif   LA LIGNE CHAUVINEAU   Description : Description : Description : Description : http://lignechauvineau.free.fr/Gif/francec.gif

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L'ORGANISATION DU TERRAIN

Conférence faite le 8 avril 1923 par M. le Lieut.-Colonel CHAUVINEAU

Professeur à l'Ecole Supérieur de Guerre

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           I.- LES ENSEIGNEMENTS DE LA GUERRE CONTINUITÉ ET CAMOUFLAGE

           La fortification est l'ensemble des aménagements et des travaux exécutés sur le terrain, en vue d'y créer un barrage.

           Comme toute barrière non défendue serait aisément franchie, la fortification ne se conçoit pas sans défenseurs munis d'armes appropriées.

           L'obstacle que l'on oppose à l'ennemi est donc en fait constitué de deux éléments inséparables, quoi que très différents : l'Obstacle-Matériel et l'Obstacle-Armement ; ce dernier n'étant efficace que s'il est protégé contre toute tentative de destruction.

           Si loin que l'on remonte dans l'histoire, on constate que le premier de ces deux obstacles a toujours été continu et que le second se traduit par une organisation discontinue de points d'appui d'ou partent des flanquements.

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           Le simple mur d'un chateau-fort, encadré de ses deux tours, résume à peu près la fortification de tous les temps. On y voit clairement l'alliance de l'obstacle et de l'arme de jet, qui se complètent et se protègent réciproquement.

           Vous savez que la muraille en maçonnerie de la vieille fortification finit par disparaître devant la puissance grandissante de l'Artillerie et que, peu après 1870, on l'avait remplacée par un genre d'obstacle tout différent : le Réseau de fil de fer.

           Mais cet obstacle nouveau ne paraît pas, avant 1914, devoir être utile sur le champ de bataille, car on pense que les combats seront de courte durée, tandis que la construction des obstacles est au contraire fort longue.

           On songe encore moins à la continuité de cet obstacle, bien qu'elle soit une leçon permanente de l'Histoire et même de l'histoire la plus récente : la guerre Russo-Japonaise.

           Or la continuité, sous le nom de Muraille de Chine, était devenue, en France, avant 1914, l'évocation la plus caractéristique de l'esprit rétrograde en fortification comme en tactique et l'un de mes professeurs à l'Ecole de Fontainebleau, avait, pour l'avoir défendue, fini sa carrière comme chef de bataillon.

           Il y a pourtant des idées simples qui ne perdent pas facilement leurs raisons d'exister. On s'en aperçut à la fin de 1914, en constatant la présence, le long de nos fronts, de deux réseaux de fils de fer parfaitement continus - l'in allemand, l'autre français - allant de Bâle à la Mer du Nord, en se faisant face.

           Telle est la première des nombreuses surprises que devait nous réserver l'aspect des fronts de la Grande Guerre.

 

           Une seconde surprise fut que l'on ne découvrait derrière le réseau continu que des tranchées également continues. Voilà qui est tout à fait contraire aux vieux principes rappelés plus haut.

           L'installation économique d'un système de feux au moyen de flanquements a de tout temps donné lieu à une organisation discontinue et à cet égard la doctrine d'avant guerre, dans laquelle les fronts sont formés d'un chapelet de points d'appui se flanquant mutuellement, semblait absolument impeccable.

           Pourquoi le point d'appui a-t-il disparu?. La raison en est fort simple. Le soldat a tendance à tirer droit devant lui. Le flanquement, c'est la protection des autres et ça ne l'intéresse pas autant que la sienne propre. Pour qu'un flanquement soit assuré suivant une direction donnée, il faut que l'arme flanquante soit presque fixée dans cette direction, sans quoi l'homme la déplacera pour la diriger vers l'ennemi. C'est humain et, quand on est attaqué, l'instinct de la conservation est plus fort que les consignes.

           Le flanquement n'est donc sûr et bien réalisé que dans une casemate dont le créneau ne permet point au tireur d'éluder sa mission.

           Ceci nous montre que le fusil n'est pas une arme de flanquement, parce que son emploi exige des lignes de tireurs, qui ne peuvent pas se mettre dans une casemate. Ceux qui avant-guerre voulaient bien le reconnaître, se rejetaient sur le canon pour flanquer des intervalles et surtout sur le 75, dont la rapidité du tir était très favorable.

           Eh bien, Messieurs, le canon, même de 75, n'est pas davantage une arme de flanquement, à cause de la faible tension de sa trajectoire. Quand il tire à mélinite, ses effets sont même plus faibles de flanc que de face.

           Avant la mitrailleuse, dont notre Infanterie était très sommairement dotée en 1914, le flanquement n'était donc guère qu'un mot auquel l'atavisme de longs siècles de guerre de siège avait contribué à maintenir l'importance.

           Aussi ne faut-il pas s'étonner si le soldat, livré à lui-même au début de la guerre de tranchées, ne s'est nullement inquiété d'une notion qui est pourtant la raison d'être du point d'appui, mais dont la réalisation se heurtait à deux difficultés majeures : la première, c'est que l'exécutant était parfaitement ignorant de tout ce qui touchait à la fortification; la deuxième, c'est que les moyens de flanquement n'existaient pas.

           La conséquence fut que, sans flanquements, et à vingt mètres de l'ennemi comme c'était bien souvent le cas, les soldats devaient être au coude à coude, pour empêcher l'adversaire de sauter dans la tranchée. L'Infanterie ne se sentait rassurée qu'à cette condition, qui transforma l'armée française, comme l'armée allemande d'ailleurs, en une longue ligne déployée derrière un parapet.

 

           Dans quelques secteurs calmes, où l'on était plus loin de l'adversaire, parce que la situation de fin de combat l'avait permis, on a pu créer, en 1914 et 1915, des fronts sur le modèle de ceux d'avant-guerre, c'est à dire formés de points d'appui isolés, séparés par des intervalles inoccupés. Cette organisation devait amener une nouvelle surprise.

           Lorsque les secteurs calmes où elle avait été réalisés devinrent le théâtre d'opérations actives, l'artillerie adverse, voyant ces points d'appui se détacher nettement sur le terrain, les détruisit avec la plus grande facilité.

           Le fait se produisit notamment à Verdun, au début de 1916, et amena la condamnation officielle des points d'appui isolés visibles.

           La tranchée continue, employée surtout dans les secteurs où l'on était très près de l'ennemi, donnait vis à vis d'une grosse préparation d'artillerie des résultats meilleurs.

           Ce n'est guère qu'en 1916 que les raisons de ces anomalies furent bien comprises par tout le monde. C'est qu'en effet l'artillerie dont la puissance s'accroît sans arrêt de 1915 à 1918, ne détruit pas simplement l'obstacle-matériel, elle détruit bien mieux encore son conjugué, l'obstacle-feu, en faisant disparaître sous un chaos d'entonnoirs les points d'où partent les flanquements.

           Or, plus grand sera le développement des parapets du défenseur, c'est à dire des objectifs de l'artilleur ennemi, plus grande sera la difficulté pour lui de les détruire tous.

           La tranchée continue, qui dispersait les obus sur des parapets d'une étendue considérable, résistait mieux que des points d'appui isolés.

           En offrant à l'artillerie de l'adversaire des objectifs dix fois plus étendus, alors que le nombre des projectiles ne change pas, elle divisait par dix les résultats du tir.

           Telle fut la constatation essentielle qui devait donner à la guerre un caractère nouveau pour lequel on créa un mot nouveau : le Camouflage.

           Messieurs, c'est un enseignement capital celui qui, faisant état des faibles moyens de la fortification de campagne en présence de l'obus de gros calibre conduisit logiquement le défenseur à se dissimuler.

           Avant 1900, Caran d'Ache représentait la bataille moderne au moyen d'un petit soldat d'Infanterie complètement seul au milieu d'une nature immense et vide.

           Cette caricature est la meilleure illustration du fait le plus important de la grande Guerre.

           La nécessité du camouflage a entraîné bien des conséquences, outre la continuité de la fortification. Je n'en citerai qu'une, c'est l'impossibilité où l'on s'est trouvé de construire des casemates pour l'armement actif des fronts.

           En effet, sauf dans les cas particuliers où la nature "camoufle" l'abri actif, ce dernier, qui couvre une arme en position de tir, présente nécessairement au-dessus du sol un relief d'autant plus accentué que l'on désire une protection meilleure.

           Et c'est à cause de ce relief qu'il devient une proie toute indiquée pour l'Artillerie.

           Les abris actifs et notamment les abris de flanquement, ont toujours été détruits avant une grosse attaque, c'est à dire au moment où l'on en avait le plus besoin.

           Les abris passifs au contraire, soumis à la seule condition d'abriter du personnel au repos ou du matériel, peuvent être construit sans relief, ce qui permet leur dissimulation. Voilà pourquoi l'abri en mine ou abri caverne, que tous les combattants connaissent, est, malgré quelques tares, un des meilleurs abris qui existent.

 

           II.- LA TRANCHÉE CONTINUE DE 1914 ET 1915

           Quand on considère la longue et unique tranchée qui nous couvrait au début de la Grande guerre, bien d'autres réflexions viennent à l'esprit, et l'on est tenté tout d'abord d'y chercher matière à critique. Cependant, voilà une disposition qui est sortie de terre sous la pression des circonstances. Elle est la même dans les deux camps et sur tous les points du front. C'est de la végétation spontanée.

           Comment pourrait-elle être une erreur?. On ne se trompe pas partout de la même manière.

 

           Tout d'abord, on lui reproche l'absence de flanquements. Nous avons examiné déjà quelques excuses à ce sujet.

           Mais qui dit flanquements dit point choisis à l'avance.

           Traçons sur une carte une ligne au hasard du crayon. Nous n'arriverons pas à la bien flanquer.

           La recherche d'une ligne de défense commence par celle des points d'où l'on a des actions protectrices à droite et à gauche, et qui vont jalonner la ligne cherchée. Mais le problème inverse est insoluble. C'est ce qui explique la faiblesse des organisations défensives faites au contact de l'ennemi. La liberté dans le choix du terrain manque et rend tout le reste illusoire. Or la tranchée continue d'octobre 1914 a bien été tracée au hasard des fins de combat.

           Une deuxième critique que l'on fait volontiers à ce dispositif du début de la stabilisation, c'est l'absence de profondeur.

           Pour bien l'apprécier, il faut se mettre à la place des exécutants. Pour eux, la profondeur n'existe pas. De tout temps, on s'est battu en ligne et non pas les uns derrière les autres, sans quoi les premiers auraient été tués par ceux qui sont en arrière, que leur arme soit une épée, une flèche ou un fusil. La profondeur n'a de l'intérêt que pour le commandement parce qu'elle lui permet, si le combat sur une ligne a été défavorable, de chercher à l'offrir ultérieurement sur une ligne plus en arrière.

           Mais le Chef de Bataillon d'Infanterie, auquel on disait fin 1914 :"Vous êtes responsable de la conservation du terrain que vous couvrez avec votre unique tranchée, mais nous serions plus tranquilles si vous vous disposiez en profondeur" et à qui l'on offrait, à trois cent mètres derrière la première, une deuxième tranchée que l'on appelait ligne 1 bis, ce Chef de Bataillon, dis-je, répondait invariablement :"Je ne peux pas me battre à la fois sur la ligne 1 et sur la ligne 1 bis. Puisque c'est la ligne 1 que vous voulez garder et dont je suis responsable, c'est sur cette ligne 1 que je me battrai et naturellement je m'y battrai avec tout mon Bataillon pour deux raisons : d'abord parce que j'occupe un front qui ne me permet pas de négliger le moindre soldat, ensuite parce que, si je perds la ligne 1, n'ayant fait intervenir que la moitié de mon effectif, je suis limogé."

           "Si le Commandement veut avoir une deuxième ligne de défense, il n'a qu'à la faire occuper par d'autres unités."

           Ce raisonnement est fort juste. Malheureusement, Le Commandement n'avait pas, en dehors de ses réserves, deux jeux de bataillons : un pour la ligne 1, un pour la ligne 1 bis. Or, étaler des réserves sur la ligne 1 bis c'était les dépenser à priori donc renoncer à en avoir.

 

           Le conflit auquel donn,a lieu ce cercle vicieux dura quelques temps. Il se compliquait d'ailleurs, parce qu'à cette époque, et par suite de l'éducation théorique du temps de paix, il y avait des partisans d'une méthode de combat consistant à préparer des lignes fortifiées successives, mais non occupées sur lesquelles les unités de l'avant, si elles étaient obligées de se replier, viendraient s'installer pour résister à nouveau.

           Les premiers évènements de la guerre de tranchée n'avaient pas ruiné cette opinion qui devait être plus tard nettement contre-dite par les faits.

           Ca tient à ce qu'alors les attaques étaient le plus souvent très localisées. Elles englobaient un Bataillon ou deux, parfois le secteur d'un Régiment. Le Bataillon ou le Régiment bousculé se trouvait protégé automatiquement par les unités amies de droite et de gauche qui, elles, n'avaient pas été attaquées. C'est la présence de ces unités qui arrêtait surtout la progression de l'adversaire et l'obligeait à se borner à une occupation parfois même limitée à l'avance. Les Compagnies refoulées par l'attaque pouvaient donc assez souvent, grâce à l'appui moral que donne la sécurité sur les flancs, grâce à l'inertie obligatoire d'un adversaire qui ne pouvait guère pousser son succès très avant, se regrouper en arrière sur des tranchées existantes et non occupées.

           Plus tard, lorsque, l'expérience aidant, les attaques furent menées sur de plus grand fronts, avec des possibilités de s'enfoncer profondément dans le dispositif adverse, le regroupement de troupes battues sur de la fortification non occupée se montra toujours impossible dans la zone de combat.

           La raison en est fort simple et tient à ce que l'attaque brise toutes les liaisons du défenseur. Liaisons latérales, liaisons avec l'artillerie, tout cela disparaît du moment qu'on se retire, car les différentes unités ne se retirent pas avec la même vitesse. Cela dépend à la fois du terrain et de l'inégale vigueur de l'assaillant. Certaines ont perdu tous leurs cadres, d'autres ont disparu dans la bagarre. Comment dans ces conditions, occuper une ligne fortifiée même toute prête?. Si une troupe avait conservé assez de sang froid et de cadres pour le faire, les trous inévitables qu'elle aurait sur ses flancs, l'appréhension de l'infiltration latérale de la part d'un adversaire dont elle ignore la situation précise, cet inconnu redoutable qui résulte de l'absence totale de renseignements et de liaison, et dont la conséquence est le défaut de l'appui de l'artillerie et aussi le manque d'ordres, tout cela lui conseillera bien vite de partir, pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi.

           En somme, on ne peut arrêter des troupes qui reculent que derrière une ligne de feu continue, qui les mette à l'abri; et, comme elles sont impuissantes à créer elles-mêmes cette ligne de feu, il faut qu'elles la trouvent toute prête en travers de leur route. Alors elles s'arrêteront, se reformeront et pourront même renforcer la ligne qui a permis cet arrêt.

           A la lumière des faits, l'échelonnement en profondeur de la fortification apparaît comme nécessaire mais à la condition que les lignes successives seront occupées à l'avance.

           Cela oblige le Commandement à faire, ou plutôt à essayer de faire, de ses troupes trois parts :

           Une, la plus importante, qui se battra sans arrière-pensée sur la ligne de résistance choisie.

           Une deuxième, qui formera les réserves, principal moyen d'action dont dispose le Commandement pour intervenir dans le combat.

           Une troisième qui occupera à l'avance une ou plusieurs lignes de résistance pour parer à un échec possible sur cette ligne.

           Ce dernier desideratum exige des effectifs que l'on ne possède jamais. On s'en tire par une occupation plus ou moins sommaire. Lorsque l'Infanterie n'avait pour tout armement que le fusil, on ne pouvait obtenir de cette façon qu'une garantie bien illusoire et cela avait beaucoup contribué à masquer les avantages de l'occupation préalable dans la profondeur.

           Mais lorsque la même Infanterie se vit dotée à profusion d'armes automatiques (fin 1915), il devint possible d'obtenir, avec peu d'effectifs et un large emploi de la mitrailleuse, des fronts sinon très solides du moins susceptibles d'arrêter momentanément une infanterie victorieuse mais disloquée par son succès même.

 

           De cette digression sur la tranchée de 1914, je n'ai voulu faire ressortir que deux enseignements: le premier, c'est qu'on se bat en ligne, et même sur une seule ligne, qui est la ligne de résistance. Le second c'est que des résistances sur des lignes successives préparées à l'avance ne peuvent être envisagées avec certitude que si ces lignes sont occupées également d'avance.

 

           III.- QUELQUES MOTS SUR LE "POINT D'APPUI"

           Lorsque la mitrailleuse fut connue, appréciée et distribuée en abondance, on s'aprcut que c'était une arme de flanquement idéale, une "arme de fortification", si j'ose dire.

           Elle permit donc de revenir à la vieille notion de point d'appui que je définirai : l'organisation nécessaire à la vie des flanquements.

           Le camouflage obligeait à ne pas montrer cette organisation, donc de la noyer dans un lacis de tranchées, dans lesquelles l'ennemi ne pouvait discerner les points occupés de ceux, bien plus nombreux, qui ne l'étaient pas.

           D'autre part, ce qu'on appelait avant guerre point d'appui, c'est à dire un village, une ferme, un bois, un mamelon bien en vue couronné de tranchées, etc., tout cela était peu indiqué pour servir de point d'appui, justement parce que c'était trop indiqué à l'ennemi (toujours le Camouflage !).

           On en vint à admettre que les raisons de terrain qui pouvaient servir à délimiter les points d'appui étaient de maigre valeur et, qu'en tout cas, elles étaient moins importantes que les raisons de commandement.

           Il est de première importance qu'un front soit commandé en tous ses points, sous peine d'être voué à la passivité la plus dangereuse.

           Comme la fortification était devenue continue, on fut finalement amené à la découper en tranches correspondant exactement à l'organisation de l'Infanterie.

           Les tranches élémentaires, qui avaient quelques centaines de mètres de front seulement, étaient occupées chacune par une Compagnie qui s'y défendait au moyen de mitrailleuses placées en flanquement, liant leur tir à la direction des réseaux de fil de fer. Le point d'appui, c'est à dire l'organisation nécessaire à la vie de ces flanquements, c'était l'installation de l'Infanterie en certains points des tranchées et des boyaux, de manière à protéger les mitrailleuses, à compléter leur action, a faciliter l'exercice du commandement et l'activité du défenseur.

           Ces tranches-points d'appui étaient groupées en tranches plus larges et plus profondes correspondant au Commandement d'un Chef de bataillon. Ce furent les Centres de Résistance. La même mode de groupement appliqué aux Centres de Résistance fournit les sous-secteurs de Régiment, puis le secteur, domaine de la Division.

           Dans cette organisation du terrain, dont la base est la hiérarchie militaire, il n'y a naturellement plus d'intervalles entre les diverses tranches, parce que, la fortification étant continue, il faut qu'en chacun de ses points elle appartienne à quelqu'un.

           Par contre, le nombre des intervalles entre les défenseurs est considérable. On pourrait même dire que, dans le point d'appui moderne, il n'y a que des intervalles, de même que dans certains fromages, il n'y a que des trous.

           Cet aspect spécial tient à ce qu'il est à base d'armement automatique.

           Autrefois, les tireurs armés du fusil agissaient en lignes d'au moins une section.

           Avec l'armement automatique, ils agissent en des points.

           Le point d'appui moderne, c'est une zone pointillée. Les intervalles ne sont plus extérieurs au point d'appui. Ils se trouvent à l'intérieur.

           C'est avantageux pour le camouflage et la protection. C'est désavantageux pour le Commandement. (Remède : liaisons et transmissions et bonne organisation des P.C.).

 

           Messieurs, cet aspect que je viens de donner au point d'appui a pour base le camouflage. Il  exige beaucoup de travaux et notamment des tranchées et des boyaux assez abondants pour enterrer dans le sol et rendre invisible non seulement toute l'Infanterie, mais même ses facultés de mouvement. C'est un point d'appui de front stabilisé.

           Dans une prise de contact entre deux armées, sur un terrain où il n'y a pas encore de fortifications, il en sera tout autrement.

           Les combattants se précipiteront sur les obstacle et les couverts qui les masquent aux vues. Ils s'enfouiront dans les villages, dans les bois, ils s'aligneront dans les chemins creux, derrière les levées de terre ou les haies, ils se dissimuleront dans les hautes cultures, etc.

           Quant aux terrain bien découverts et dénudés, ils ne recevront ni la visite du fantassin, ni par la suite celle des obus.

           Les points d'appuis naturels d'avant-guerre reparaîtront avec leur isolement relatif, malgré l'inconvénient qu'ils ont d'attirer le feu. Mais ce feu, au moment d'une prise de contact, est loin d'avoir la violence que quelques semaines de stabilité pourraient lui donner et c'est une large atténuation.

           La fortification que l'on fera en pareille circonstance sera de la fortification égoïste, c'est à dire mauvaise. Chacun pensera à soi et fera un trou là où il est, même s'il est mal placé.

           Ce n'est que plus tard, lorsque l'agitation des premiers jours aura fait place à un calme relatif que l'on songera à placer les armes aux points où elles ont les actions les meilleures. On étudiera alors le terrain, on découvrira les garanties qu'il peut donner, les économies d'occupation qu'il permet, et l'on s'apercevra généralement que tout est à refaire.

           Si vous songez que la construction d'une position complète dure des mois, on pourrait presque dire des années, que pendant la durée de cette construction, la situation changera fréquemment, entraînant inéluctablement des modifications dans le dispositif de l'armement et des troupes, que la fortification évoluera parallèlement, vous conclurez sans peine que l'organisation du terrain ne peut se traduire par un schéma.

           L'application sur un sol très changeant d'une fortification donnant, pour l'occupation la moins coûteuse, le front le plus solide est une opération très difficile, dans laquelle les questions tactiques techniques et topographiques réagissent les unes sur les autres et s'enchevêtrent. Il faudrait probablement ne faire que cela pendant toute la vie pour y devenir compétent.

           Il ne semble pas que nous suivions actuellement le chemin qui mène à cette compétence. L'Infanterie ne fait point de fortification, parce qu'elle n'a ni le temps, ni le matériel, ni le terrain, ni peut-être la conviction nécessaire.

           Le Génie, qui possèderait bien le matériel et le terrain, est bien prêt à déclarer que çà ne le regarde pas et que les Règlements ne lui donnent dans cette affaire aucun rôle catégorique. En sorte que, si le Commandement n'intervient pas en présence de vocations aussi chancelantes, j'ai bien peur que la prochaine guerre nous trouve encore plus ignorants que la dernière.

           Et pourtant, je ne suis pas du tout convaincu que nous n'aurons pas encore plus besoin de travailler le sol et de disparaître dans des trous, parce qu'il y a un principe qui dit : L'action égale la réaction. Or l'action c'est le feu, la  réaction c'est la fortification.

 

IV.- LA PROFONDEUR AUX ÉCHELONS INFÉRIEURS DU COMMANDEMENT

           § 1. - La profondeur locale de la fortification

           On ne s'est jamais contenté, même dans la vieille fortification, d'un seul obstacle et d'un seul système de flanquements, parce qu'il ne faut pas être à la merci d'une défaillance locale.

           Vauban créait jusqu'à trois enceintes successives et nous devions nous attendre à trouver en 1915 un échelonnement des barrages fortifiés.

           Il s'est traduit au début, comme vous venez de le voir, par l'apparition de tranchées continues successives, précédées chacune de leur réseau de fil de fer.

           Plus tard, la ligne de défense cessa de coïncider exactement avec la tranchée, qui devenue par endroits organe de tir, par endroits simple communication, prit finalement le nom de parallèle.

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           La ligne de défense devenait plus profonde pour de nombreuses raisons dont la plus importante est que les mitrailleuses peuvent généralement flanquer le réseau en s'installant assez loin à l'intérieur du barrage fortifié, soit sur des boyaux, soit sur une deuxième parallèle, soit même en dehors de la fortification.

           Cette dernière manière préconisée fin 1917 a pour but de soustraire encore mieux les armes essentielles aux tirs de destruction dirigés contre le quadrillage formé par les parallèles et les boyaux.

           Mais pour être efficace, elle exigeait un camouflage très soigné et des travaux souterrains considérables que l'on n'a jamais fait.

           Ce désir de fuir la fortification visible pour se soustraire au feu n'en est pas moins un symptôme fort intéressant à une époque où les préparations d'artillerie commençaient à tout niveler. Il prouve que l'on veut résoudre un problème parfaitement insoluble qui est d'échapper au feu. Du moment que l'on décide de résister, en face d'un adversaire qui veut cogner, il n'est pas possible de ne pas recevoir des coups.

           La défensive est l'art d'encaisser.

           Et, à part les abris et le camouflage, qu'il faut employer à la fois car séparément ils seraient impuissants contre l'artillerie, je ne vois pas d'autres remèdes aux maux du fantassin.

           Ceux-là ne sont d'ailleurs pas mauvais, à condition d'être expert dans l'art de faire les abris et dans celui du camoufleur. Ces qualités, il faut bien l'avouer, manquaient en général au combattant.

           Ses talents de fortificateur, improvisés pendant la guerre, ne devaient lui fournir que d'incomplètes satisfactions. Des abris mal placés, mal protégés, mal camouflés se chargèrent de lui faire durement payer une insuffisance technique et même tactique, qui avait sa source dans les doctrines d'avant-guerre.

           Le désir du combattant d'échapper aux actions de l'artillerie entraîna de multiples conséquences, comme nous le verrons dans la suite. Je me contente pour l'instant de faire remarquer qu'il influença le Commandement allemand au point de lui faire confondre dissémination et profondeur.

           Le 15 août 1917, le Règlement allemand sur la guerre de position exprime l'idée suivante :

           "Le combat défensif doit être mené, non plus autour de lignes, mais dans les zones de combat."

           Les Allemands baptisèrent ce genre de défensive du nom de défensive élastique vers 1918. Cette défense s'est montrée en effet très élastique, si l'on en juge par l'ampleur que prirent les reculs à partir de ce moment.

           Je vous laisse le soin de la comparer avec celle que définit notre règlement d'Infanterie de 1921, lorsqu'il donne comme but à la Résistance :

           "La constitution d'un système complet et profond de feux puissants caractérisées par une continuité rigoureuse en largeur et par une succession de barrages efficaces en profondeur."

           Ce qui veut dire plus brièvement :

           "L'Infanterie se bat en ligne et manoeuvre en profondeur.

           Le point d'appui est presque un dispositif linéaire. Sans doute, sa profondeur, qui peut atteindre deux ou trois cents mètres, ne sera pas uniquement due à la propriété de la mitrailleuse de se reculer loin du réseau et de tirer dans les créneaux qui séparent les groupes de combats.

           Dans cette profondeur, il y aura bien aussi quelques échelons de feux locaux alimentés par des éléments de soutien. Mais cette profondeur-là, c'est de la cuisine intérieure. C'est de la profondeur à l'usage des capitaines. Elle peut d'ailleurs être contrariée par un terrain défavorable ou par un manque d'effectifs. Elle n'intéresse pas le Commandement.

 

           § 2. - Lignes de résistance de rechange

           La véritable garantie contre la défaillance d'une ligne de points d'appui ne réside pas en elle-même mais dans la constitution d'une deuxième ligne de points d'appui franchement éloignée de la première (800, 1000 mètres et plus suivant le terrain) parce que la distance donne le temps nécessaire pour sortir des abris, pour occuper les emplacements de combat.

           Cette deuxième ligne ou ligne de rechange est voulue par une loi éternelle de la défensive. Pendant la guerre, on l'a baptisée de noms divers (ligne 1 bis, 2° ligne, ligne des réduits, ligne d'arrêt, etc.) je l'appellerai simplement une garantie, jusqu'à ce qu'il y ait une terminologie indiscutable à ce sujet.

           Nous voilà donc fixés sur un point qui est en fortification une grande vérité, c'est qu'un barrage fortifié ne comprend pas seulement une ligne de résistance, mais aussi au moins une ligne de résistance de rechange pour le cas où la première serait enfoncée. Nous savons d'autre part que cette ligne ne pourra être utilisée sûrement que si elle est occupée d'avance.

           Il se présente toutefois, quand l'ennemi attaque, une petite difficulté due aux grands fronts actuels.

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           Si l'ennemi a traversé la Résistance principale et qu'à un moment donné son contour apparent soir a b c d, la ligne de rechange fonctionnera bien pour arrêter l'avance en profondeur mais, latéralement, faudra-t-il se résoudre à abandonner la ligne principale à gauche de a et à droite de d, alors qu'elle n'est pas entamée? songez que cette ligne allait, en 1916, de Bâle à la Mer du Nord. Il ne peut être question de l'abandonner sur toute son étendue et toute l'activité du défenseur doit tendre à limiter les progrès latéraux de l'avance ennemie en contenant cette avance dans des raccordements entre les deux lignes de défense.

           Pour cela, l'organisation  doit offrir des lignes toutes prêtes, telles que B1 et B2.

           Ces lignes sont connues sous le nom général de bretelles. Dans la pratique, on se sert le plus souvent des boyaux qui sont les communications enterrées perpendiculaires au front.

           Le réseau des voies d'accès, parallèles et boyaux, quelquefois appelé quadrillage, compartimente ainsi le terrain et permet de limiter les conséquences d'un enfoncement local de même que les compartiments étanches des cuirassés limitent les conséquences d'une voie d'eau.

           Messieurs, de ce que je viens de vous dire, il résulte qu'une ligne de points d'appuis destinée à Résister sera toujours accompagnée à titre de garantie d'une ligne de rechange.

           Si en outre nous songeons que tout dispositif de troupes est nécessairement protégé en avant par des avant-postes, nous pouvons définir une position organisée : une résistance unique, protégée en avant, garantie en arrière.

           Ces trois échelons de forces (protection, résistance, garantie), qui correspondent aux avant-postes, à la ligne de combat et aux Réserves, forment un champ de bataille unique, un tout dans lequel chaque partie travaille au profit de la Résistance.

           Au point de vue fortification, le dispositif de protection présente des caractères très spéciaux. Occupé par de faibles effectifs, il est rarement continu. Les points d'appui qu'on y trouve sont parfois isolés, ce qui est admissible que grâce à un camouflage particulièrement soigné dans lequel les propriétés naturelles du sol interviennent puissamment.

           Quand ces propriétés sont telles qu'on puisse envisager pour les avant postes des actes de résistance en liaison intime avec la résistance principale, la fortification aux avant-postes finit par ressembler aux "dehors" de la fortification de Vauban, par rapport au Corps de place.

           C'est là un point intéressant, mais que je ne puis aborder, faute de temps.

 

V.- LES SERVICES RENDUS PAR LA FORTIFICATION

           Lorsque le mouvement cesse et que les balles sifflent, le soldat s'enterre de lui-même. C'est là un enseignement qui résulte de toutes les guerres et plus encore de la dernière. On sait que le Commandement s'y est trouvé, surtout à partir d'octobre 1914, en présence d'une fortification à la conception de laquelle il n'avait pris fort heureusement aucune part.

           Cette végétation spontanée est bien faite pour troubler celui qui ne croit pas à l'organisation du terrain sous prétexte qu'elle attire la foudre et il peut se demander pourquoi les exécutants, qui se sont quelquefois plaints de la fortification, persistent à remuer la terre.

           On trouve une excellente réponse à cette question en consultant les statistiques des pertes.

           Avant 1914, plus de 80% sont imputables au fusil, 15% en moyenne à l'artillerie et ces chiffrent ne varient pas au cours du dix-neuvième siècle (sauf en Crimée, où grâce au siège de Sébastopol, on retrouve presque les conditions de la dernière guerre).

           La guerre de 1914-18 au contraire voit les pertes dues au canon monter à 75% pendant la stabilisation, pour redescendre à 55% en 1918. Parallèlement, le fusil et la mitrailleuse ne causent que 15% de pertes au début et, e, 1918, 30%. En un mot, dans la dernière guerre, le pourcentage des pertes est complètement renversé en faveur de l'artillerie.

           L'examen de ces chiffres a étonné bien des gens, car l'abondance des munitions d'artillerie ne suffit pas à les expliquer.

           Pourquoi, disent-ils, la guerre actuelle met-elle tant de pertes à l'actif de l'artillerie, alors qu'elle en causait si peu autrefois?. Cette arme est-elle devenue la reine des batailles, et pourquoi la mitrailleuse si redoutée du fantassin n'a-t-elle, en fin de compte, produit si peu d'effet.

           Eh bien, c'est justement parce que, en plaçant entre lui et la balle de son ennemi un bourrelet de terres protecteur, le fantassin qui ne pouvait guère s'empêcher de recevoir les gros projectiles, s'est tout au moins décidé à ne pas recevoir les petits. Il a ainsi faussé les statistiques. Finalement, l'artillerie doit à le fortification une partie de la considération plus grande dont elle jouit maintenant.

           Voilà donc pourquoi la fortification est utile au soldat. Mais comment arrive-t-il à s'en plaindre?.

           Ceci est un peu plus complexe.

           Nous savons tous qu'on attaque surtout avec de l'artillerie et que, pour attaquer un front fortifié, il faut plus de moyens en canons et munitions qu'il n'est nécessaire d'en avoir en terrain libre. C'est l'évidence même.

           Or si sur un front illimité FF4 non organisé les moyens d'artillerie dont on dispose permettent d'attaquer sur le front a b, dans le cas d'un terrain organisé, il faudrait les concentrer contre le front plus restreint a' b'. Dans ce dernier cas, les soldat qui subit le marmitage trois fois plus intense apprécie peu l'honneur qui lui échoit de recevoir plus de coups que les autres, sous prétexte qu'il y a de la fortification et que, par suite, l'ennemi est obligé de limiter son effort pour le concentrer sur sa tête. Il ne se rend pas compte que ses ennuis sont la rançon qui sauvegarde le reste du front.

           Mais s'il est mécontent, il n'en est pas de même du Commandement, qui craint d'autant moins les résultats de l'attaque que le front en est plus restreint.

           Il ne faut donc pas s'étonner que certains exécutants se soient quelquefois plaints de la fortification parce que, comme je viens de le dire, elle attire la foudre.

           En pareil cas, le Commandement, au fond très satisfait, ne peut répondre que par des exhortations à la patience ou des affirmations pures et simples sur l'excellence de la fortification.

           C'est ainsi que Ludendorf écrivait, le 22 juillet 1918 :"Depuis quelques temps, on a jugé qu'il n'était pas nécessaire de renforcer la défense au moyen d'ouvrages. Dans certains milieux, on a même été jusqu'à prétendre que l'attaque d'une position non fortifiée était plus difficile que celle d'une autre renforcée par des ouvrages et des réseaux barbelés. Toutefois, on admettait encore la valeur des abris. Ce sont là des idées qu'on ne saurait combattre avec trop d'énergie. De toute évidence, les abris ont une importance capitale. Mais parallèlement, on ne saurait creuser assez de tranchée ni organiser trop de réseaux barbelés quand on est à la veille de livrer une bataille décisive".

           J'espère que maintenant nous apercevons très bien la différence de point de vue qui existait entre Ludendorf et ses exécutants marmités.

           

           La fortification n'a pas seulement pour effet d'obliger l'ennemi à des efforts plus grands qui peuvent dépasser pendant plus ou moins longtemps les moyens dont il dispose, elle a aussi une propriété précieuse et unique :

Elle inscrit le devoir sur le terrain.

           Au début de la guerre, en présence de la ténacité sans exemple dont faisaient preuve les combattants des tranchées, on a pu croire que l'homme avait changé et qu'il était devenu plus brave.

           Je croirais plutôt que la fortification permet mal les défaillances parce qu'elle les met trop nettement en relief. Quand l'ordre de tenir est concrétisé par une tranchée, le devoir n'a plus d'élasticité.

           Si nous ajoutons qu'au combat les déplacements en terrain libre étaient infiniment dangereux, nous pourrons comprendre que le combattant des tranchées en restant à son poste dans la fortification soignait à la fois sa réputation et son existence.

 

VI.- LA PROFONDEUR DE L'ORGANISATION DU TERRAIN A L'ÉCHELON "ARMME"

           Nous avons étudié précédemment la profondeur d'une résistance unique avec ses deux compléments généralement nécessaires - la protection en avant, la garantie en arrière - et nous avons dit que cet ensemble forme une position, un tout ayant un seul but : tenir.

           Or cet ensemble n'a pas toujours tenu, parce que l'assaillant, grâce à une artillerie dont les moyens d'action - projectiles, puissance, portée - avaient augmenté sans cesse, était parvenu à partir de 1916 à détruire les organes essentiels de la Résistance (armement et fortification) sur toute la profondeur (protection et garantie comprises).

           Cet assaillant, qui en 1914 et 1915 considérait comme un succès d'avoir pris deux lignes de tranchées et d'avoir progressé de cinq cents mètres, cherchait, en 1916, à traverser d'un seul élan tout l'ensemble de la résistance ennemie, pour arriver jusqu'à l'artillerie, qui se trouvait immédiatement derrière et il y ^parvenait en 1917, grâce à des déploiements d'artillerie formidables, grâce aussi à l'insuffisance de l'éducation de toutes les armées au point de vue organisation du terrain.

           

           Dès 1916, le défenseur inquiet envisage donc l'éventualité de la rupture de son dispositif de Résistance, occupé comme on le sait, par des Divisions accolées. C'est alors que naît véritablement la notion des positions successives.

           Le Haut Commandement va peu à peu obéir aux mêmes nécessités que les Divisions en secteur, et chercher à se créer d'abord une position de résistance, puis en arrière une ou plusieurs positions de rechange formant garantie, enfin en avant une protection par des avant-postes occupant parfois une position distincte.

           Nous retrouvons nos trois mots : Protection, Résistance, Garantie mais dans un ordre d'idées plus vaste.

           Les positions successives sont des champs de bataille distincts. Elles sont placées l'une de l'autre à des distances telles que l'ennemi, qui s'est emparé de l'une d'elles soit obligé, pour attaquer la suivante, de déplacer la masse principale de son Artillerie.

           Malheureusement, une position ne se construit pas en un jour.

           Au début, l'intégrité des fronts bénéficia de ce fait qu'il était aussi long de construire les canons que les positions qu'il devaient attaquer.

           Mais quand on envisagea la création de positions successives, le travail à fournir dépassa les possibilités que l'on avait.

           En outre l'entretien de positions non occupées est très délicat. Les abris non habités se remplissent d'eau. Les tranchées s'éboulent. Les deuxièmes, les troisièmes positions existaient quelquefois sur le papier. Mais quand on allait vérifier leur état, on avait le plus souvent une impression de jeunesse ou de décrépitude. Rares furent les Armées qui disposèrent de deux bonnes positions, placées à distance convenable.

           

           Pendant que l'on continuait sur tous les fronts et dans les deux camps ces positions destinées à résister, par la manoeuvre, à la puissance croissante de l'Artillerie, des transformations profondes dans l'organisation des Armées en présence allaient rendre, pour d'autres raisons, la tâche du défenseur de plus en plus difficile.

           Les nations en guerre qui devaient à la fortification et à la mitrailleuse d'être depuis trois ans sous les armes et qui voulaient en finir à tout prix avaient cherché le remède à leurs maux dans la fabrication d'un matériels susceptibles de détruire l'obstacle au mouvement en avant. Pour cela, elles avaient construit des canons de tranchée, des chars, fabriqué des munitions innombrables, etc.

           Parallèlement à cet effort, il fallait créer quantité d'unités nouvelles et renvoyer à l'arrière tous les ouvriers nécessaires à la construction du matériel destiné à donner l'assaut à la fortification.

           Cela ne pouvait être fait qu'au détriment de l'Infanterie, et c'est ainsi que l'Armée française, qui comprenait 1.500.000 fantassins en 1915 n'en comprenait plus que 800.000 en 1918.

           Or, si l'on attaque surtout avec de l'Artillerie, pour se défendre, il faut surtout de l'Infanterie. Il en résulte que les Armées des nations en présence, en s'organisant fébrilement pour l'offensive, étaient de moins en moins aptes à la défensive, et qu'elles n'étaient peut être même plus capable de réaliser la Continuité dont je vous ai parlé, d'accord avec nos Règlements, comme la seule vraie garantie d'intégrité des fronts.

           L'organisation de l'offensive, seul moyen de sortir de l'impasse où l'on se trouvait engagé, entraînait un affaiblissement considérable des fronts qui protégeaient le pays.

            Les Armées face à face ressemblait, en 1918, à des colosses aux pieds d'argile dont les coups étaient très redoutables. Mais il suffisait de les attaquer pour les mettre à mal.

 

           Aussi, le Haut Commandement, constatant que les fronts donnaient de graves signes de faiblesse, essaya-t-il de rendre anodins les coups terribles que portait l'adversaire, en les esquivant par la manoeuvre.

           Malheureusement, pour esquiver un coup, il faut reculer c'est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, d'abandonner une position sur laquelle on travaillait quelquefois depuis trois ans.

           En trouvera-t-on une autre en arrière?. Tout est là.

           Le Commandement eut à ce sujet quelques déceptions. Il chercha bien des positions toutes prêtes en arrière, mais il ne les trouva que rarement. Ou bien elles n'étaient qu'ébauchées, ou bien elles n'existaient plus, usées par les agents atmosphériques, de manière à bien justifier la dénomination de "fortification passagère", ou bien enfin les fluctuations plus grandes des fronts venaient de nuire à leur utilité.

           Pour le bien, il aurait fallu pouvoir construire une position dans le temps qui s'écoulait entre deux attaques.

           Mais maintenant que l'Artillerie était sortie des usines, elle ne laissait plus à la fortification le temps de s'édifier. Grâce à la mobilité de cette Artillerie, à sa portée, à la souplesse de son tir, le temps que l'assaillant mettait à remonter une deuxième attaque décroissait sans cesse.

           De quelques mois, il descendit à quelques semaines. Or l'organisation d'une position n'était pas une question de semaines, ni même de mois. Force fut donc, pour esquiver les coups si dangereux de l'assaillant, de reprendre en bien des points la défensive en terrain libre.

           On aurait pu croire, dès cet instant, que le rôle de la fortification était fini.

 

           Deux circonstances lui maintenaient pourtant beaucoup de valeur.

           C'est d'abord qu'on ne pouvait l'attaquer que sur un front restreint par rapport à son étendu totale.

           C'est ensuite la présence de réserves chez le défenseur.

           Je m'explique :

           Une première attaque capable de produire une poche plus ou moins grande ne peut pas être suivie d'une autre dans la même zone. Les réserves du défenseur qui ont afflué sure le point attaqué s'opposent au rendement sérieux d'une deuxième attaque. Il faut généralement attaquer ailleurs et par conséquent transporter les moyens offensifs dans une autre région du front.

           Imaginons (pure hypothèse) que ce front ait cinq cents, et que les moyens dont on dispose permettent des front d'attaque de cinquante kilomètres. Il faudra non pas dix mais peut être quatre ou cinq attaques pour ébranler et disloquer ce front au point d'obliger l'adversaire à l'abandonner complètement. Une attaque tous les mois donnerait au défenseur un délai d'une demi-année pour créer de la fortification sur un nouveau front.

           La fortification disposera donc d'autant plus de temps que les fronts attaque seront plus petits par rapport à l'étendue du théâtre d'opérations et que les Réserves du défenseur seront plus nombreuses et plus mobiles.

           Or les fronts d'attaque sont fonction des moyens offensifs dont dispose l'assaillant. Il est raisonnable d'admettre qu'ils ont tendance à croître au cours d'un conflit tandis qu'au contraire les réserves décroissent. Pour cette double raison, la fortification a de moins en moins de temps de s'établir et finalement, lorsque les réserves n'existent plus du côté de la défense, ce temps est si brusquement et si considérablement réduit que la fortification cesse d'être un facteur de quelque importance dans la lutte, à moins que les procédés de construction actuels ne se perfectionnent.

           Voilà pourquoi, malgré les trouées faites dans notre front en 1918, nous avons pu le conserver, avec sa vieille fortification, partout où il n'avait pas été entamé. C'est qu'il fallait plus de deux attaques couronnées de succès pour le disloquer complètement, du moment que nous avions encore des réserves.

           Et c'est parce que les réserves manquaient aux Allemands que leur front, pourtant aussi solide que le nôtre, se disloqua si facilement à partir de juillet.

           Sans l'Infanterie, la fortification perd toute raison d'exister, et l'année 1918 n'a enregistré qu'une seule faillite : celle de la défensive sans défenseurs.

           La conclusion est nette. c'est que la fortification a son maximum d'intérêt au début d'une guerre, et qu'il est dangereux de juger de ce que sera un conflit à son début, d'après la fin du précédent. La prochaine guerre ressemblera initialement aussi peu que possible à la période de 1918.

           Ce qui précède montre, dans l'ensemble, quel fut le mécanisme de la reprise de la guerre de mouvement. L'échelonnement en profondeur et la manoeuvre sur des positions a bien amené en 1918 des oscillations plus grandes, puisqu'on hésitait moins à céder du terrain. Mais cette élasticité de la défense, moyen complémentaire précieux, n'a pas suffit à enrayer l'actions des moyens offensifs. Elle a peut être retardé le dénouement, elle ne l'a pas empêché. Cela tient à ce qu'elle n'est qu'un moyen de ralentir l'ennemi et non un moyen de l'arrêter. Sans fortification, elle se confond même avec l'organisation de la retraite par échelons. Les échecs sont moins sensibles, mais leur répétition arrive à être un désastre. C'est toute l'histoire du front allemand à partir de 1918.

           Le 22 juillet 1918, Ludendorf écrit à ses subordonnés :

           "Dans le système moderne de défense élastique, avec une occupation naturellement très peu dense du terrain (il s'agit d'éviter les pertes), il n'est pas toujours possible d'empêcher l'ennemi de pénétrer dans les premières lignes, notamment quand il bénéficie de l'effet de surprise, comme nous l'avons vu le 18 juillet. mais, comme nous ne luttons pas pour la conservation du terrain, cette pénétration n'a pas la moindre importance".

           Cette dernière phrase fait penser à la fable :"Le Renard et les Raisins".

           Avec un certain nombre de "pénétrations" de ce genre, les Allemands ont été reconduits hors de nos frontières. Cela ne signifie pas que la défense élastique, ou si vous voulez la manoeuvre, soit sans efficacité, mais elle doit aboutire à une résistance, c'est à dire s'appuyer, dans la profondeur, sur des organisations solides, permettant de concrétiser la mission d'arrêt.

           Il n'est pas inutile à une unité, à une grande unité même, de voir sa mission écrite sur le terrain. Faire de la défense élastique en profondeur, sans plus de précision, c'est glisser sur une pente dont on ne voit pas la fin.

           Le moral ne se trouve jamais bien de l'abandon du terrain à l'ennemi. Pour ne pas l'affaiblir, toute mission comportant un recul doit contenir en même temps un ordre de résistance.

           Le 15 juillet 1918, en Champagne, on a dit à nos troupes :

           "Pour tromper l'ennemi qui prépare une grosse attaque, vous allez abandonner la première position. mais vous résisterez à outrance et sans arrière-pensée sur la deuxième".

           Voilà une manoeuvre qui ne contient aucun élément de faiblesse parce que, grâce à la fortification, le devoir y est encore écrit sur le terrain.

           Mais la manoeuvre de la IV° Armée n'a été possible que parce que cette Armée tenait encore, en 1918, ses positions de 1914, parce qu'elle disposait d'une fortification d'autant plus solide qu'on y travaillait depuis trois ans.

           En définitive, c'est cette fortification qui a continué à être jusqu'à la fin de la guerre la pierre de touche caractérisant la solidité de la défense. Si l'on en voulait une autre preuve, il suffirait de passer en revue les grandes offensives allemandes ou alliées qui ont ébranlé profondément les fronts et l'on constaterait que, là où le moral ou les effectifs n'étaient pas assez bas pour rendre tout le reste inutile, c'est la fortification qui a été l'arbitre des situations et que les grands succès ont été obtenus exclusivement, compte tenu des réserves précédentes, contre des secteurs jeunes, d'organisation sommaire et peu profonds, ou bien dans des régions où la fortification avait été bouleversée et détruite par des luttes antérieures.

           Laissez moi pour finir, vous signaler que, dans cette grande lutte avec l'Artillerie, la fortification a bénéficié d'un avantage immense, qu'elle conservera toujours et que nous n'apprécions bien qu'actuellement.

           C'est qu'elle coûte moins cher que l'Artillerie.

           Si pour rompre des fronts et gagner une guerre, il faut préalablement se ruiner en matériel de rupture, l'opération sera peu engageante et fera penser à Gribouille.

           Or, avec quoi fait-on un front fortifié?.

           Avec la main d'oeuvre inoccupée des militaires.

           Le métier des armes a toujours été plus ou moins comme l'art d'attendre.

           Croyez bien, Messieurs, qu'il est plus sain pour le soldat d'Infanterie d'attendre en travaillant que d'attendre sans rien faire. On ne peut pas tous les jours se faire tuer, et l'oisiveté est la mère de tous les vices. Voilà pourquoi, si la tranchée n'existait pas, il faudrait la créer.

           Mais elle existe depuis toute éternité. César l'a employée il y a 2.000 ans, avec autant d'abondance et de succès que nous. Vauban en a semé les glacis des places fortes de son temps et si, en 1870, nous avons eu peu recours à elle, le résultat n'est pas pour lui nuire.

           Sans doute si les tranchées sommaires et les réseaux anémiques du début 1915 s'étaient trouvés aux prises avec l'artillerie de 1918, la stabilisation aurait été du coup à peu près terminée.

           Il ne faudrait pas conclure de là qu'elle n'a tenu qu'à un fil. Quand on songe aux dépenses qu'il aurait fallu consentir, en temps de paix, pour partir avec l'artillerie et les munitions dont on disposait en 1918, on s'aperçoit que ce fil est assez solide et l'on ne peut pour l'avenir, exprimer qu'une seule crainte : c'est que la fortification, pourtant bien rudimentaire, qui vient de contribuer puissamment à ruiner plus d'aux trois quarts le monde entier, pourrait bien, la prochaine fois, le ruiner complètement.

 

           Messieurs, je sens que quelques-uns d'entre vous vont me reprocher de ne pas leur avoir appris, au cours de cette conférence, à organiser le terrain.

           Cette déception n'est pas due à un oubli de ma part. Elle tient à ce que je crois, peut être à tord, qu'on ne peut apprendre à organiser le terrain que sur le terrain.

           Je n'ai donc pas essayé de vous enseigner quoi que ce soit. Cela me paraissait d'autant plus inutile que la doctrine officielle, toute provisoire qu'elle sera sûrement, n'est pas encore sortie des arcanes où s'élaborent les Règlements.

           Quels reproches ne me serai-je pas attiré lorsqu'en feuilletant le future Règlement, vous auriez constaté qu'il fallait oublier ce que j'aurai pu vous dire, pour apprendre autre chose !.

           Je n'ai donc poursuivi qu'un but : Vous convaincre que çà n'est pas par hasard que la fortification est apparue sue les champs de bataille du vingtième siècle, et que c'est une vieille connaissance que nous retrouverons.

           Je sais bien que c'est une connaissance qu'on n'avoue pas, surtout quand on est Français, parce que c'est une connaissance qui n'a pas d'allure.

           Permettez moi une anecdote :

           J'étais en 1916, à Frise, pendant  la bataille de la Somme. On construisait là un P.C. pour le Commandant de mon Corps d'Armée.

           Un Bataillon revenant des tranchées vint à passer. Les poilus regardaient ce gros travail de fortification avec un étonnement quelque peu ironique. L'un deux, exprimant sans doute l'opinion générale, s'écria :"Çà, c'est pour les gendarmes !".

           Quelques mois plus tard, j'avais, avec le même Corps d'Armée, suivi la fameuse retraite allemande du début 1917, sur la ligne Hindenbourg. Nous cantonnions à Blérancourt, village où l'ennemi avait un P.C. de Division. C'était à sept ou huit kilomètres de l'ancien front. Or nous constatâmes, nous aussi, avec un étonnement un peu ironique, que ce village, comme tous ceux de la région, était semé d'abris formidables, dans lesquels le bois français n'avait pas été ménagé.

           Il y en avait dans chaque jardin et dans les rues devant chaque maison.

           A cette distance du front, nous aurions considéré comme prêtant à rire la moindre tôle ondulée.

           Voilà, Messieurs, deux mentalités. Pourquoi faut-il que celle qui conserve le mieux les effectifs soit justement dans le camps qui en a le moins besoin ?.

 

                                                                                        Paris 8 Avril 1922.

                                                                       Lieutenant-colonel CHAUVINEAU.

                                                                     Professeur à l'Ecole Supérieure de Guerre.

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