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"UNE INVASION est-elle ENCORE POSSIBLE"

Préface de M. le Maréchal PÉTAIN

(Texte intégral de la préface)

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                          Préface

Cet ouvrage étonnera ou même scandalisera peut-être le lecteur. Lc général Chauvineau a voulu, en effet, remonter aux causes, sans se laisser influencer pat des idées presque universellement admises.

Souvent excellente, cette façon de procéder est de nos jours plus nécessaire encore qu'autrefois. Aujourd'hui les faits changent rapidement. Jamais le risque d'être dépassé par eux n'a été aussi grand. Le progrès scientifique marche à pas de géant et mêle d'une façon tous les jours plus intime les travaux de la paix et les industries de la guerre. Il crée des situations neuves, elles-mêmes rapidement renouvelées, et devant lesquelles les règles reçues et passées dans nos habitudes deviennent souvent des routines attardées, ou même périmées. Un risque technique peut grandir brusquement, devenir grave, peut-être mortel ; une attention vigilante est nécessaire si l'on veut le dominer à tout instant.

Le général Chauvineau a utilisé son talent, dont la tournure particulière est bien connue de plusieurs promotions d'élèves à l'École de Guerre, pour donner, sous une forme qui forcera l'attention de ses lecteurs, les résultats des réflexions qu'il a faites au cours de sa carrière.

Il convient d'ailleurs que ceux-ci abordent l'ouvrage avec le même état d'esprit qu'a eu l'auteur en le composant, et qu'ils gardent intact leur esprit critique, sous la seule condition d'étayer leurs objections en juste logique et saine raison.

L’auteur a limité le sujet de son ouvrage aux opérations terrestres du début d'un conflit : il s'agit donc de la couverture. Il l'a localisé aux théâtres d'opérations de l'Europe Occidentale. 

Des opérations terrestres de la Grande Guerre le général Chauvineau dégage la leçon tactique qui lui paraît la plus importante : la grande nouveauté est pour lui le front continu, dont la brusque révélation constitue le tournant de la guerre.

Les causes du front continu sont au nombre de deux : les gros effectifs d'infanterie que procure la nation armée et l'efficacité actuelle des armes défensives. Toutes deux sont nées de l'essor industriel du xxe siècle, qui a permis d'équiper, d'entretenir et d'armer la totalité des effectifs fournis par la Nation Armée.

Pour la première fois, l'infanterie a pu meubler avec une densité suffisante tout le théâtre des opérations depuis la mer du Nord jusqu'à la Méditerranée. Le front continu, en interdisant les attaques d'aile, qui avaient été depuis le commencement du monde la forme la plus généralisée de la stratégie militaire, a réduit les conceptions des chefs opposés à de simples attaques frontales.

Ce front continu s'est révélé stable, car. la défensive a vu ses moyens accrus dans une proportion très supérieure aux moyens offensifs. Les feux des armes automatiques tendus au ras du sol, le réseau de ronces artificielles aux fils barbelées enchevêtrés, constituent un barrage qu'aucun homme ne peut tenter de franchir sous peine de mort.

Le char lui-même, considéré aujourd'hui comme l'instrument offensif par excellence et comme l'outil destiné à percer les fronts fortifiés, n'aurait-il pas un rendement notablement augmenté, si on l'employait pour se défendre ou pour contre- attaquer un assaillant, même cuirassé, mais désorganisé par le fait même de son avance ?.

Les transports sur rails et sur routes favorisent le défenseur : ils permettent en effet l'afflux rapide des réserves vers le point attaqué, alors que sur un champ de bataille parsemé d'obstacles et sous les feux de la défense, l'assaillant le plus vite ne peut progresser qu’avec lenteur. Le plan Schlieffen contre la France était théoriquement admirable et devait réussir si, en 1914, le défenseur avait dû mouvoir ses troupes à pied : il était voué à l'échec devant un défenseur disposant du rail et de la route pour amener ses réserves. Bien plus, dans ce cas, il devenait dangereux, car il exposait l'aile marchante de l'assaillant à être à son tour enveloppée. 

La défensive est devenue si puissante qu'il faut à l'assaillant une énorme supériorité pour se lancer à l'attaque. Chiffrant cette prépondérance, le général Chauvineau estime que l'attaque doit avoir trois fois plus d'effectifs d'infanterie, six fois plus d'artillerie, douze fois plus de munitions pour espérer dominer la défense. L'assaillant doit posséder en outre une supériorité impossible à chiffrer en ce qui concerne la qualité des hommes : la troupe d'assaut requiert un entraînement physique complet et un moral très élevé, alors que la troupe de la défense a une tâche plus facile, « parce que son devoir est inscrit sur le terrain ».

Les enseignements stratégiques sont simples eux aussi.

La France, nation armée, doit éviter de débuter par une offensive stratégique : l'outil militaire, l'armée issue de la nation, ne le permet pas. Ce serait le plus souvent jouer le sort du pays sur un coup de dés.

En effet, l'attitude stratégique offensive ne peut être prise en général qu’au détriment des garanties défensives. Les effectifs et les matériels à mettre en jeu diffèrent profondément suivant que l'on adopte l'une ou l'autre attitude. 

La mission essentielle à remplir, quelle que soit l'hypothèse envisagée, est d'assurer l'intégrité du territoire national : sans quoi tout s'effondre. Tout étant fait pour être sûr d'y réussir, on peut, avec le surplus des effectifs et des ressources, songer à entreprendre sur terre l'usure directe de l’adversaire par l'offensive terrestre, ou par la contre-offensive sur des troupes qui se sont déjà usées ou disloquées par une attaque malheureuse sur nos champs de bataille préparés. 

De tous les problèmes à résoudre, le plus urgent est celui que posent les débuts d'un conflit : c'est le problème de la couverture.

Inapte au début à l'offensive stratégique, mais néanmoins capable d'offensives tactiques locales, l'armée issue de la nation est parfaitement apte à s'opposer partout aux incursions terrestres de l'ennemi, à couvrir la mobilisation et la concentration de l'armée et à donner au pays le temps de surmonter cette terrible crise qui accompagne le passage de l'état de paix à l'état de guerre.

La condition actuelle d’une « couverture efficace » est l’établissement d'un front continu immédiatement tendu à la frontière et utilisant les ouvrages de fortification. Les leçons tactiques et stratégiques de la Grande Guerre montrent que cette solution doit être envisagée.

Pour résister à une attaque brusquée, deux conditions sont nécessaires : fortifier la région frontière et se ménager des réserves.

La fortification, profitant des possibilités que lui donne aujourd'hui la technique de la construction, doit transformer ses habitudes afin de s'adapter au dynamisme moderne. Pour le cas où l'ennemi percerait le front continu établi aux frontières, l'auteur nous présente une technique nouvelle qui permet de construire en quelques jours une ligne solide, composée de petits ouvrages bétonnés. Aux improvisations de la dernière guerre, il substitue, dans le domaine de la fortification de campagne, des procédés méthodiques.

La couverture, appliquée sur la ligne fortifiée, est destinée à se transformer en un front de combat en cas d'attaque, grâce aux réserves partielles réparties en arrière de la ligne continue. Ce sera la mission de troupes très mobiles d'un type spécial, que l'auteur appelle armée S. R. C. (Spéciale, Réserve de couverture) et qui sera destinée comme par le passé à bloquer les attaques ennemies, soit en colmatant une brèche locale, soit en contre-attaquant dans leur flanc.

L'auteur explique comment ces données techniques, tactiques et stratégiques sont susceptibles de procurer à l’équilibre européen une stabilité moins précaire que c'elle qu'il paraît avoir aujourd'hui par suite des remous de la politique. Un agresseur éventuel risque, en effet, de se trouver en quelques jours arrêté sur une ligne où l'armée attaquée lui opposera un front continu.

Le problème de la sécurité, si difficile à résoudre quand on l'envisage sous l'aspect politique, trouve donc en définitive. sa meilleure solution dans un élément technique militaire : la crainte du front continu est pour les peuples décidés à se jeter sur leurs voisins le commencement de la sagesse. Il y a là une réaction de la technique militaire sur la politique et aussi sur l'économie générale du pays. L'auteur donne sur ces points des idées qui lui sont personnelles, mais qui ne seront pas discutées ici.

Telle est cette théorie, qui fera jugée peut-être audacieuse, mais qui est à coup sûr cohérente et digne d'être étudiée.

Voici les principales réflexions qu'on peut faire sur ses conclusions.

Cette doctrine, qui prend le contre-pied d'idées admises par quelques milieux militaires, n'est pas seulement issue de la raison pure. Elle ne méprise pas l'histoire, puisqu/elle commence par une interprétation personnelle des leçons de la guerre. Elle est surtout fondée sur des nouveautés survenues dans la technique de la fortification et de la motorisation. Les faits positifs qui lui servent de base sont : les propriétés techniques des armes, les possibilités des transports par voie ferrée et par route, le mode et la durée de construction des positions bétonnées, les propriétés techniques des chars, etc... Et ce n'est pas parce que l'auteur manie brillamment l'humour et le paradoxe et qu'il aboutit à des conclusions imprévues que celles-ci doivent être rejetées a priori. 

La division du problème général de la guerre en deux problèmes élémentaires est rationnelle : d'abord prendre des garanties pour ne pas être battu, puis battre l'ennemi. Sur terre, l'importance de cette distinction est grande, bien qu'elle ait été peu comprise. Chercher à battre l'ennemi sans avoir pris les dispositions destinées à bloquer ses offensives, c'est, dit le général Chauvineau, jouer au poker le sort du pays. Au début d'une guerre, devant un ennemi qui n'est encore entamé ni matériellement ni moralement, l'attaque constitue un gros risque.

Il se peut néanmoins que l'opération réussisse; mais en cas d'échec, le rétablissement devient très difficile si l'ennemi réagit par une contre-offensive.

Ces notions n'étaient pas en faveur avant la guerre : à cette époque, c'était le règne de l'offensive en tous lieux et en tout temps, même au début des hostilités contre un ennemi intact. L’attaque, disait-on, portant en elle une vertu et une efficacité propres, il convient de la lancer très vite, fût-ce au détriment de la préparation. Ces procédés rudimentaires, cet esprit d’offensive irréfléchi, cette absence de méthode sont à la base de nos pertes et de nos échecs de 1914. L'expérience de la Grande Guerre a montré que le chef, tout en maintenant dans sa troupe par des procédés divers un esprit offensif élevé, devait d'abord se préoccuper de constituer un front de départ défensif (garantie terrestre), et qu'il ne devait passer à l'offensive qu'après avoir rassemblé les moyens nécessaires et étudié leur emploi dans tous les détails. 

Toute autre méthode participe du jeu, plus que de l'art, et constitue en plus une imprudence qui peut-être fatale, une offensive manquée causant plus de mal à l'assaillant qu'au défenseur.

L'initiative des opérations ne consiste pas attaquer en tous lieux et en toutes circonstances. Elle consiste à faire ce qu'on veut. Elle consiste même à avoir la force morale de se 1aisser attaquer, si l'attitude défensive est jugée plus avantageuse. Contraints à attaquer très vite en 1914, les Allemands n'avaient pas l'initiative des opérations, telle qu'elle vient d’être définie. Pour leur bonheur, l'armée française les avait précédés de quelques jours dans l’offensive et les attaques françaises avaient été lancées dans des directions telles que l'attaque allemande prenait figure de contre-offensive et tirait de cette circonstance des avantages qu'elle n'avait ni escomptés, ni mérités. L'offensive française constituait une faute, parce qu'elle compromettait le jeu des garanties. 

 Le front continu n'est pas un accident passager, dont on peut se débarrasser comme d’une habitude néfaste. Au début des opérations, il se présente au plus faible comme le seul moyen de garantir le territoire national. En prenant cette attitude, le plus faible impose au plus fort le caractère des actions initiales. 

La volonté d'un commandant en chef est asservie par les possibilités des troupes, et par les propriétés techniques des moyens de guerre, qu'il s'agisse des armes ou des transports.

Ce ne sont pas les dispositions morales particulières des chefs et des peuples qui ont jamais déterminé les caractères généraux des guerres ; ceux-ci sont surtout fixés, aujourd'hui comme toujours, par des données précises : effectifs et armement.

Le front continu est, en effet, une conséquence inévitable des effectifs accrus mis sur pied par la Nation armée et des propriétés techniques des armes. La raison en est terre à terre, on pourrait écrire sordide : c'est qu'un être vivant ne peut plus courir quand, empêtré dans les ronces du réseau artificiel, il a reçu dans la tête ou dans la moelle épinière un projectile de métal lancé par une arme invisible. Aucun enthousiasme patriotique, aucune ardeur morale ne tiennent devant ce fait. Les moyens de tourner sur terre le barrage infranchissable, constitué au sol par l'arme automatique associée au réseau de fil de fer, n'existent pas, si tout le théâtre d'opérations est barré. Les moyens de briser le barrage existent : ce sont les chars et l'artillerie lourde. Chers, ils sont rares et relativement lents à mettre en place. La rareté de ces matériels restreint les fronts d'attaque. Le temps nécessaire au développement de leur action efficace peut être utilisé par le défenseur pour amener ses réserves, d’autant plus facilement que le front attaqué est plus étroit. 

Ces considérations conduisent le général Chauvineau à une classification des armements terrestres. Les armements défensifs sont en général faciles à construire et peu coûteux : armes automatiques, obstacles, artillerie légère, béton. Les armements offensifs, plus difficiles à construire, sont en général beaucoup plus onéreux pour le budget : artillerie lourde et chars.

Quelle que soit l'attitude qui sera adoptée dans la suite de la guerre, la première attitude à prendre est la mise en garde par un front continu immédiatement tendu à la frontière.

Il s'agit, en couverture, avec des moyens peu denses, mais toujours prêts, de conduire les débuts de la bataille sur le champ de bataille méthodiquement préparé et partiellement tenu dès le temps de paix. Le front continu renforcé par la fortification et tenu par les troupes de couverture donne à la nation le temps nécessaire à la mobilisation, à la concentration de l'armée, à la mise en place des armements, et d'une manière générale au passage de l'économie de paix à l’économie de guerre. 

Les troupes employées à la couverture sont judicieusement réparties en deux fractions : l'une étirée en cordon, s'appuyant sur la fortification construite en temps de paix, sans intervalle libre afin de constituer le front continu ; l'autre (réserve de couverture) organisée en unités très mobiles en vue de colmater une brèche ou de prendre de flanc une poche ennemie. L'ensemble forme la couverture.

A la conception récemment préconisée d'une armée de métier, la réserve de couverture proposée par le général Chauvineau s'oppose par ses buts, par sa composition et par son recrutement : elle s'en rapproche par la nécessité de disposer de spécialistes que ne peut fournir le service à court terme.

L'armée de métier, telle qu'elle a été proposée, est à la fois répressive et préventive, capable d'aller prendre des gages et de faire des randonnées lointaines dans les arrières et dans le pays ennemi. Elle est tout entière cuirassée et mécanisée, pouvant s'engager le soir à 200 kilomètres de son bivouac du matin, et pouvant forcer les lignes de retranchement et semer la panique dans les arrières. Elle est formée de militaires faisant toute leur carrière sous les armes, mais affectés dans les divisions cuirassées pendant les six premières années de leur service.

Les troupes réserves de couverture du général Chauvineau sont au contraire destinées à colmater une brèche ou à contre-attaquer dans le flanc d'une offensive ennemie. Elles sont motorisées, tout en comprenant quelques chars cuirassés ; leurs camions les rendent très mobiles. Elles sont formées de militaires engagés pour quatre ans.

Les deux idées sont très différentes. L'armée de métier est surtout un instrument offensif ; la qualité de son matériel et de son recrutement en font, pour son auteur, un outil irrésistible. Il y aurait quelque imprudence à adopter ces conclusions : il semble qu'elles aient cherché, dans le domaine tactique, à obtenir par l'offensive des résultats décisifs qui risquent d'être sans lendemains si aucune garantie n'est prise contre un échec possible. Il semble aussi que les possibilités techniques des chars et les possibilités de commandement des divisions cuirassées n'aient pas été étudiées d'une façon suffisamment poussée. Il semble surtout, pour s'en tenir à l'emploi, que l'hypothèse où l'ennemi possède une armée analogue et l'utilise défensivement n'ait pas été envisagée. Sur terre, le barrage mortel qui s'oppose au passage des engins chenillés et blindés existe : c'est l'obstacle des mines associé au feu des armes anti- chars. Que deviendrait une offensive de divisions cuirassées, si elle se heurtait à des divisions de même nature, mais postées et ayant tendu d'avance en quelques heures sur un champ de bataille de leur choix un plan de feu antichars associé à des obstacles naturels renforcés par des champs de mines ? Sur terre, jusqu'ici, toute invention a plus profité en général au défenseur qu'à l'assaillant. La mobilité des divisions de l'armée de couverture du général Chauvineau peut être utilisée pour tendre dans la direction prise par les divisions cuirassées de l'armée de métier un barrage qui ne pourra plus être forcé que par une action méthodique. Arrêtées par un tel barrage, les divisions cuirassées de l'attaque sont à la merci d'une contre-attaque sur les ailes.

Les chars eux-mêmes sont vite démodés et difficiles à améliorer', ces propriétés militent en faveur de leur emploi pour arrêter une attaque, ou en faveur de leur emploi en contre-attaque sur un assaillant, appuyé ou non par des chars, mais en partie désorganisé par son avance même et affaibli par elle.

La conception du général Chauvineau parait mieux répondre à la fois aux possibilités techniques des engins blindés d’aujourd'hui, à leurs servitudes devant les mines et les armes antichars, et aussi aux saines conceptions stratégiques qui exigent l’occupation immédiate et sûre d'un champ défensif, avant de songer à l’offensive stratégique. Moins ambitieuse que l’armée de métier, elle parait plus sûre et en définitive plus utile. 

Quant aux procédés techniques proposés, ils rendront certainement les plus grands services pour la construction des lignes fortifiées. Ils réduisent les types d'abris à un très petit nombre de modèles, simplifient leur construction, diminuent leur prix et permettent d'implanter sur le terrain une ligne bétonnée avec une rapidité inconnue autrefois, à condition que ses éléments aient été préparés.

En somme, les vues du général Chauvineau sur le début des opérations terrestres sont pleines de sagesse. Son étude aurait été plus complète, si elle avait examiné en détail les réactions mutuelles des trois catégories de forces (Guerre, Marine et Air), en plaçant les forces terrestres dans le cadre d'ensemble des forces armées.

Éléments d'une doctrine de guerre.

Les considérations qui suivent ont pour but d'y suppléer en restant dans le cadre général de la situation de notre pays, et en limitant leur objet aux premiers jours d'un conflit.

Une doctrine de guerre générale doit fixer dans toutes les hypothèses probables, d'après leurs possibilités techniques propres, les directives d'emploi des trois catégories de forces : nature des précautions défensives à prendre dans tous les domaines et sur tous les théâtres et nature des actions offensives à monter.

Quelle que soit l'hypothèse de guerre, les précautions défensives sont à prendre dans tous les cas. Leur étude présente donc un caractère universel.

Sur le territoire français, les précautions terrestres seront assurées d'abord par les troupes de couverture qui occuperont la zone fortifiée de la frontière et en interdiront le franchissement aux hommes et aux engins blindés. Le jeu des réserves partielles permettra de colmater les brèches ou de contre-attaquer les forces ennemies, qui auraient réussi à franchir lebarrage. Telle est la triple condition de la garantie terrestre initiale.

On ne peut avoir la prétention d'arrêter une attaque brusquée puissante avec de simples éléments de couverture. La couverture doit être renforcée sur le champ de bataille choisi, préparé et partiellement occupé dès le temps de paix. Derrière la couverture, les gros seront échelonnés en vue de permettre au commandement de conduire la bataille défensive, ou la manœuvre stratégique qui doit aboutir le moment venu à la bataille offensive. 

Les champs de bataille préparés et renforcés par la fortification permettront d'obtenir deux résultats essentiels : constituer une barrière continue, qu'il serait autrement impossible de tendre, du moins au début, et réaliser pour la défense de cette barrière les économies les plus fortes au bénéfice des éléments placés en réserve.

Si la préparation du champ de bataille est suffisante, et son occupation rapide, l'ennemi sera contraint de monter une opération méthodique ; ses espoirs d'en finir rapidement par une attaque brusquée seront déçus.

Ces dispositions sont la condition même du rendement de la défense et de son efficacité. C'est le minimum de ce qu’on peut demander, dans tous les cas ; ces résultats, toujours nécessaires, sont à rechercher dans les premiers jours. 

Les procédés à mettre en ouvre pour préparer le champ de bataille, ou pour rétablir la continuité quand le front aura été percé en un point, s'inspireront avantageusement de ceux qui ont été étudiés par le général Chauvineau.

Les précautions maritimes ont un degré d'urgence qui peut varier dans des limites beaucoup plus larges. Dans 1’hypothèse où un seul théâtre d'opérations est ouvert dans le nord-est de la France, il est de la plus haute importance d'assurer le transport des troupes d'Afrique. Inversement, l'obligation de transporter des troupes de France en Afrique peut aussi s'imposer. Il faut donc pouvoir assurer la liberté de navigation en Méditerranée occidentale, afin de faire dans les deux sens les transports commandés par la situation. 

La protection du trafic maritime qui amène en France les matières premières ou les produits fabriqués nécessaires à la défense nationale n'est pas moins importante.

Enfin la sécurité de nos côtes est la troisième mission à assurer par la Marine. Le sol national peut en effet être attaqué, occupa et molesté par des forces venant de la mer. Comme la terre, la mer au voisinage des côtes peut-être barrée par des champs de mines, dont l'efficacité est redoutable. L'action des sous-marins et de l'aviation augmente encore le danger d'une expédition de débarquement.

La sécurité des côtes paraît facile à assurer, alors que le passage des troupes en Méditerranée et la liberté du trafic sont plus difficiles à garantir.

Avec la couverture aérienne, les choses changent d'aspect.

Les luttes de surface se développent autour de barrages dont l'efficacité est toujours très grande. Les avions, au contraire, sont les maîtres d'un espace immense qui ne peut pas être barré, comme la terre et l'eau.

La défense aérienne est à développer dans toute la mesure du possible : mais, même si on pouvait lui consacrer la totalité du budget de la nation, on ne serait pas certain de bloquer à coup sûr les attaques aériennes de l'ennemi.

C’est à 300 kilomètres à l’heure et plus que progressent aujourd'hui les attaques aériennes, pour choisir librement leurs objectifs sur l'ensemble du territoire national en sautant par dessus tous les obstacles. Alors que le péril terrestre est différé et partiel, le péril aérien est immédiat et total. 

Une armée de l'air ennemie pourra causer au potentiel de guerre du pays des dégâts majeurs, qui feront peser un lourd handicap sur sa force de résistance, et influeront, en outre, sur les opérations terrestres ou maritimes en agissant sur leurs arrières, sur leurs bases ou sur leurs communications.

Ces actions en dehors de la zone de bataille porteront sur des réserves, sur des entrepôts, sur des courants de ravitaillement, sur des communications, sur des transmissions, organes particulièrement sensibles, et les moins faits pour recevoir les coups.

La défensive aérienne ayant un rendement réduit, il est impossible de se contenter d'actions défensives. En plus des défenses antiaériennes fixées au sol, l'air libre appelle les actions offensives, cherchant à briser le potentiel aérien de l'ennemi.

En l'air, tant que la barrière aérienne analogue aux barrages terrestres ou navals, n'aura pas été trouvée, le vieil adage reste vrai : on ne se défend bien qu'en attaquant.

E n résumé, pour être en état de remplir efficacement la première mission : « n'être battu de façon décisive dans aucun des domaines d'opérations », il faut prendre sur terre et sur mer, un ensemble de précautions défensives, dont le détail varie avec chaque hypothèse de guerre, alors qu'en l'air il est nécessaire d'adopter une attitude offensive, en prenant pour objectifs les bases offensives et les moyens d'attaque de l'adversaire, et en attaquant par priorité, toutes les fois qu'on le pourra, les objectifs aériens : formations aériennes, terrains, stockages, usines, etc...

Le général Chauvineau traite en détail la question des précautions défensives à prendre sur terre au début du conflit. On peut dire que c'est l'objet même de son étude. Technicien de la fortification très averti, doublé d'un officier d'état-major aux vues d'ensemble, il a étudié avec beaucoup de compétence la possibilité de déploiement d'un front continu bétonné, même devant une attaque brusquée. Il s'élève justement, et avec beaucoup de force, contre l'idée d'opposer une défense improvisée à une attaque méthodiquement préparée.

Son étude est intéressante et pleine d'aperçus nouveaux ; elle doit retenir l'attention du lecteur. Elle ne craint pas de réhabiliter le front continu, peu étudié en temps de paix, et qui porte le poids d'une réprobation générale, comme s'il était le produit d'un art de la guerre d'ordre inférieur, alors qu'il est la conséquence des effectifs considérables mis sur sur pied par la Nation armée, et des propriétés techniques des armes capables de tendre les barrages infranchissables aux hommes et aux chars.

L'étude du général Chauvineau vise à préparer le front continu pour que la bataille terrestre sur les frontières soit gagnée, ou au moins qu'elle ne soit pas perdue, et pour qu'il n'y ait plus lieu de remporter une nouvelle bataille de la Marne, c'est-à-dire une victoire incomplète, puisqu'elle laissait l'ennemi incrusté dans notre sol, et maître pendant quatre ans de huit départements et des régions industrielles les plus importantes.

Les précautions défensives sur mer et en l'air n'ont pas été étudiées par l'auteur. Un court chapitre est consacré à l'aviation. La Marine est passée sous silence. Ces lacunes pouvaient faire craindre des erreurs importantes, car les trois forces ne se battent pas séparément : elles réagissent au contraire les unes sur les autres. Or, on ne relève, malgré tout, dans l'exposé aucune erreur fondamentale, mais seulement quelques omissions concernant l'action de l'aviation.

Les forces aériennes influent, en effet, de façon importante sur la lutte terrestre. Leur action directe dans la bataille est aléatoire, car les troupes engagées dans les combats sur terre sont disposées pour recevoir des coups et pour les rendre. C'est par des actions indirectes sur les arrières que s'exercera le plus efficacement l'action de l'aviation. Arrières immédiats de la ligne de bataille, peuplés de dépôts de vivres et de munitions, de troupes au repos, d'États-majors, organes mal protégés aujourd'hui qu'on pourra bouleverser ou détruire par l'air. Arrières plus lointains de l'intérieur du pays, avec les stocks des ressources qu'on accumule pour la lutte, et les usines où on les produit. L'objectif le plus payant des forces aériennes ennemies sera constitué surtout par le réseau des communications qui relie l'arrière à l'avant : si l'aviation réussit à les couper, ou au moins à les interrompre temporairement, elle réalisera une sorte d'encagement qui pourra amener une paralysie de l'avant, privé des approvisionnements nécessaires à la conduite de la guerre. On ne peut plus étudier les opérations terrestres isolément, il faut les étudier en relation avec les possibilités de l'armée de l'air.

La solution de ce problème général comporte des variantes. On peut le résoudre de façon très différente suivant le cas. Si l'ennemi cherche à percer notre front, c'est une bataille défensive à mener de bout en bout. Si l'ennemi s'établit simplement en couverture, il conviendra de décider si le moment est venu de l'attaquer en l'air ou sur terre, ou de s'organiser en face de lui et de porter nos forces sur un autre théâtre d'opérations. La Méditerranée occidentale, l'Afrique du Nord, d'autres points encore, peuvent être englobés dans le conflit ou devenir à leur tour le théâtre principal.

Pour intervenir sur terre autrement que par le moyen passif du front continu et pour obtenir des résultats positifs, l'attaque est en effet nécessaire. La première pensée qui vient à l'esprit est d'utiliser l'aviation, son action offensive du premier jour est, en effet, une de ses missions essentielles.

La Marine aussi pourra intervenir en attaquant le trafic commercial qui ravitaille l'ennemi.

Les combinaisons par lesquelles se traduira l'action des trois forces dans les opérations de guerre sont nombreuses et complexes. Si les forces de terre et les forces de mer ont peu d'occasions de travailler ensemble, il n'en est pas de même des forces aériennes. L'aviation peut intervenir au profit des forces de terre et de mer, elle a un rôle essentiel à jouer dans la défense aérienne du territoire, et, en outre, nouvelle venue dans l’économie de la guerre elle s'est taillée une part prépondérante, car elle seule peut attaquer le sol ennemi dans sa totalité. 

Grâce à l'aviation, à sa mobilité foudroyante, la situation peut changer avec la vitesse de l'éclair.

Pour faire face à ces variations subites, l'action d'un Conseil ne suffit pas, et pas davantage l'entente entre trois grands chefs. La décision d'un seul chef est nécessaire, assisté d'un État-major préparant ses décisions à l'échelon de l’ensemble des forces armées. 

Le général Chauvineau a volontairement limité son étude aux opérations terrestres et aux premiers jours d'une guerre éventuelle. S'il n'envisage que la défensive, c'est qu'elle est la tâche la plus pressante au début des hostilités. Les actions offensives, sauf en ce qui concerne l'aviation, se développeront par la suite. Ses conclusions s'insèrent très heureusement dans le cadre d'une doctrine d'ensemble. Cela tient à ce qu'il s'est appuyé sur la base solide et inattaquable de données positives fournies par la technique : le front continu est une réalité qu'il y a péril à méconnaître.

Le système préconisé cadre parfaitement avec l'état politique, géographique et démographique de la France et avec les travaux qui ont été construits à ses frontières.

Aussi, malgré quelques réserves concernant la partie politique, le livre mérite d'être étudié.

On perçoit encore certaines tendances à reprendre la doctrine de la guerre de mouvement dès le début des opérations, suivant les idées en honneur avant 1914. L'expérience de la guerre a été payée trop cher, pour qu'on puisse revenir impunément aux anciens errements. L'idée offensive est à conserver précieusement pour le moment où les circonstances permettront de l'employer, en se gardant de vouloir plier les faits ou de chercher à adapter les réalités à nos sentiments et à nos passions.

Ce sera le rare mérite du général Chauvineau d'avoir montré que le front continu est à la fois fondé sur les leçons de l'histoire et sur les propriétés techniques des armes et de la fortification.

La possibilité pour notre pays d'arrêter à coup sûr tout ennemi voulant pénétrer à l'intérieur de nos frontières ne doit pas nous dispenser d'examiner attentivement toutes les nouveautés : les chars, les sous-marins et surtout les avions. Ces derniers engins, encore énigmatiques, ont bouleversé bien des conceptions militaires anciennes, et portent dans leurs flancs des secrets encore insoupçonnés.

Couverte par les fronts continus, la nation a le temps de s'armer pour résister d'abord, pour passer à l'attaque ensuite.

Cette perspective n'a rien de réjouissant pour un agresseur éventuel : elle est le meilleur gage de la paix.

         Paris, 1938.

                                                                                     Maréchal PÉTAIN .

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