Description : Description : Description : Description : Description : http://lignechauvineau.free.fr/Gif/francec.gif   LA LIGNE CHAUVINEAU   Description : Description : Description : Description : Description : http://lignechauvineau.free.fr/Gif/francec.gif

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EXTRAIT DE LA REVUE SIGNAL

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PARIS SE REND[1][1].

           Notes d’un officier d’ordonnance, qui assista à l’événement. (Par le Dr Wilhelm Ritter von Schramm.)

        L’état-major de notre armée s’est installé à Clermont non loin de la ligne la plus avancée. C’est ici que commencent les grandes forêts et les vastes parcs de l’Ile de France succédant à l’uniformité du paysage picard. Et depuis hier la plus grande partie de ces forêts est entre nos mains. Sans doute elles recèlent encore des milliers de Français en déroute, mais ces hommes ne se défendent plus, ils portent la main au casque dès qu’ils rencontrent un soldat allemand, demandant poliment qu’on les fasse prisonniers. Il s’agit parfois d’une centaine d’hommes, parfois même d’un millier, avec tout leur train et d’innombrables canons. Ils ont déposé leurs armes qu’ils ont soigneusement entassées. Nos troupes ont atteint aujourd’hui le cours inférieur de l’Oise. A l’Ouest également la Seine a déjà été franchie sur trois points. Rouen est à nous…

Oui, vraiment, la campagne se déroule tout autrement qu’en 1914. Le miracle est maintenant de notre côté. 

Et réellement chaque poteau indicateur paraît en témoigner : Paris 70 km., Paris 60 km,. Paris 58 km. Et nos Prussiens de Prusse orientale de la division de cavalerie abreuvent déjà leurs chevaux dans la Seine.

Cependant, le colonel français que nous avons fait prisonnier ce matin a déclaré, les yeux ardents, que jamais les Allemands n’entreraient à Paris, même s’ils devaient occuper tout le reste de la  France. On défendra la ville et son camp retranché avec l’énergie du désespoir jusqu’au dernier Français.

Et, de ce fait, dans la soirée, le service des transmissions nous apprend que l’ennemi se ressaisit, une fois encore, pour résister, et pour résister avec acharnement. Lorsque nous sortons sur la  terrasse du château, nous ne voyons à l’horizon, vers le Sud, que des éclairs ininterrompus et nous entendons le bruit d’enfer des grandes batailles à coups de matériel, comme dans la guerre mondiale. Les Français occupent les positions de couverture devant Paris. Ces positions, préparées de longue date, sont tout autre chose que la zone dite de Weygand. Elles sont munies de blockhaus bétonnés, de tranchées-abris à meurtrières ainsi que de larges obstacles en barbelé. Elles ont comme protection naturelle l’Oise, imposante à cet endroit, et les bas-fonds marécageux de la Nonnette. C’est dans ces positions, que nous n’avons encore enfoncées nulle part, que l’ennemi semble vouloir repousser notre attaque. Trois jours durant, les 10, 11 et 12 juin 1940, notre armée n’avance pas. Nous sommes cloués sur place presque comme dans une guerre de position et toutes nos tentatives de forcer le passage échouent de jour et de nuit sous le feu intense de l’ennemi.

La capitale de la France ne s ‘en trouve pas moins de plus en plus isolée d’heure en heure.

Paris – ville ouverte !

        Dans la soirée du 16 juin, le sous-officier du service de transmission, chargé d’écouter la TSF française, entre précipitamment dans la pièce ou se tient le chef . Ce sous-officier est un homme intelligent, doublé d’un parfait soldat, mais à ce moment il a oublié toutes les formes de respect réglementaires.

« Lisez-donc ! » s’exclame-t-il.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » Nous penchons nos têtes sur la feuille qu’il nous tend. C’est la dernière nouvelle du poste émetteur Paris. Elle ne proclame pas, il est vrai, que Paris est ville ouverte, mais il en est question déjà comme d’une ville ayant cette qualité. Et il est déclaré, pour les Français, que Paris n’est pas la France. Cela en dit assez.

Car cela signifie que l’on prépare le pays à tout, que l’on veut ou ne peut défendre la capitale et que nous devons, nous aussi être prêts à y entrer demain ou après-demain au plus tard.

Mais il y avait encore le front, qui, pendant toute la journée, sembla vouloir prouver le contraire de ce qu’affirmait la radio. Les pointes de nos troupes au-delà de l’Oise et de la Nonnette se heurtent encore à une vive résistance. D’importantes forces françaises pourvues d’une puissante artillerie tiennent toujours le secteur. Lorsque dans l’après midi je me rends en auto à un poste de commandement de corps d’armée, le pont près de Creil est exposé au feu intense des pièces ennemies et, de même pont qui se trouve près de pont St. Maxence a été l’objet d’une attaque aérienne en vol  rasant. Non sans quelque malice, un officier d’ordonnance, raconte alors que son état-major divisionnaire a été chassé deux heures auparavant dans toutes les règles de l’art par le feu de l’ennemi d’un des villages de la forêt. Tout cela n’indique guère une capitulation imminente.

A l’aube

        Et cependant, dès l’aube du 13 juin 1940, le passage de l’Oise avait été forcé et la rupture des positions de couverture de Paris, obtenue de haute lutte, nos troupes ne s’étant pas laissées arrêter d’avantage et s’étant assuré par des coups de main quelques têtes de pont.

Les Français commencent à se replier. Ils ne fuient pas. Protégés par de fortes arrières-gardes, ils se retirent lentement après que leur artillerie a encore fait passer de mauvaises heures à nos troupes franchissant les cours d’eau.

Depuis la prise de Chantilly, le lieu d’excursion bien connu par son champ de course de réputation mondiale, nos troupes sont dans une atmosphère parisienne. Jardins, villas et châteaux nous annoncent que nous nous trouvons dans la banlieue de la capitale, - en même temps d’ailleurs que dans la zone battue du camps retranché. La résistance des Français allait-elle définitivement mollir ou, au contraire, s’accuser, une fois encore ?. L’état-major du corps où je me rendis en auto dans la matinée, penchait pour la dernière éventualité. On n’y croyait pas que l’on évacuerait sans coup férir la capitale de la France, on faisait valoir que les troupes françaises se retiraient en bon ordre sans avoir perdu une seule batterie…

« Paris sommé de se rendre ! »

        Il était midi lorsque je revins du poste de commandement du corps. On sentait qu’il se préparait quelque chose. Mais au quartier général on ne savait rien de précis et l’émetteur français, lui non plus n’annonçait rien de nouveau. Sous le charme de la beauté de l’Ile de France, de ses forêts feuillues, de ses châteaux et de ses parcs, je m’installais pour jeter par écrit quelques pensées sur les paysages de la France. Mais voilà que subitement, une main se pose sur mon épaule. Me retournant, je me trouve en présence d’un visage souriant, celui du commandant H., le principal officier d’état-major de notre section. Son regard exprime une ironie bienveillante.

-      « Qu’écrivez-vous donc là ? », demanda-t-il.

-      « Quelques lignes sur la région de Paris. »

-      « Votre plume pourra bientôt se consacrer  à un plus noble thème encore !»

-      « Qu’est-ce à dire, mon commandant ? »

Il sourit un moment sans mot dire. Puis poursuivant :

-      « Voulez-vous m’accompagner à Paris ? »

-      « Quoi, vraiment ? »

-      « Oui, pour sommer Paris de se rendre ! » dit-il d’un air de triomphe.

-      Je me prépare en hâte.

-      Il n’y a pas de doute ; nous étions envoyés en parlementaires avec mission de sommer, encore avant la tombée de la nuit, la capital de la France de se rendre.

Notre général en chef, le général d’artillerie von Küchler[2][2], en avait pris la résolution, après s’être rendu personnellement dans la matinée en première ligne et y avoir eu l’impression que le fruit était mûr ! Mais jusqu’à ce que nous puissions nous éloigner en auto, l’après-midi s’était fort avancé. Il fallait en effet formuler avec précision les conditions de la reddition et les rédiger de façon concise. Il fallait en outre, obtenir l’assentiment des autorités supérieures ainsi que de des autorités suprêmes. Entre temps l’on avait envoyé au gouverneur de Paris le radiogramme en clair suivant :

 « Des parlementaires allemands se présenteront entre 18 et 20 heures au Nord de St. Denis, à la bifurcation des routes nationales Paris-Dunkerque et Paris-Calais. Envoyez des délégués. » Quartier général allemand.

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Figure 1 : Portait du général Georg Von Kuchler.

Nous étions sous l’empire d’un sentiment singulier lorsque nous partîmes : joyeux et cependant dans une attente étrange. Nous constituions tout un petit état-major distribué entre deux autos. En faisaient partie le commandant, en qualité de chef de notre section à l’état-major, notre camarade, le capitaine M. comme interprète et moi-même comme officier d’ordonnance. Comme ordonnances personnels nous disposions, en dehors des deux chauffeurs, du sous-officier G. notre dessinateur, que nous avions pris avec nous. Il pleuvait à verse lorsque nous quittâmes notre quartier, mais dans la hâte et dans le trouble du départ, je n’avais même pas emporté de manteau.

A l’avant de nos troupes, dont nous nous approchâmes rapidement, on entendait à peine la fusillade de l’infanterie, seulement, par intermittence, un faible feu d’artillerie. Cela signifiait que l’adversaire continuait à être en pleine retraite.

S’arrêtait-il une fois encore pour accepter le combat ?

A dix kilomètres devant nous se dressent, silencieux sur leurs piédestaux de collines verdoyantes, les forts détachés de Paris.

Puis voici tout à coup des canons anti-chars allemands en position à une croisée de chemins. On nous fait signe et on nous fait stopper. Nous sommes aussitôt entourés d’officiers supérieurs. C’est l’état-major du régiment d’avant-garde de la division – qui a été tout surpris de reconnaître à notre voiture le fanion du grand-Quartier. Où voulons-nous donc aller ?-« Nous voulons nous rendre en parlementaires à Paris ! »

Un clairon doit nous accompagner !

        La surprise n’est pas mince et l’on fait quelques objections. L’ennemi ? Certes, le contact est faible, mais il faut tenir compte des expériences faites : de chaque village, de chaque boqueteau peut à tout moment éclater un feu d’enfer sur les troupes qui avancent.

Nous n’en poursuivons pas moins notre route et atteignons en quelques minutes les postes allemands les plus avancés, tenus par des mitrailleuses et des canons anti-chars en position à côté de la route.

Nous nous enquérons du groupe de reconnaissance, qui doit déjà être plus loin en avant, mais le chef de la compagnie de pointe ne sait absolument pas où il peut se trouver.

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Figure 2 : Devant le château d'Ecouen où les négociations ont eu lieu. 7 hrs. 15 du matin. Des hommes d'un groupe de reconnaissance allemand s'entretiennent avec le chauffeur du parlementaire français.

Devant nous, à côté de la route, comme un félisement, sur notre flanc gauche, un feu d’artillerie se fait encore entendre à intervalles.

Il faut qu’un clairon nous accompagne.

Nous nous apprêtons à quitter les nôtres et à nous rendre vers l’ennemi. Devant nous s’étend le no man’s land. A droite et à gauche de la route : des champs, des jardins et quelques maisons de campagne nous indiquant que nous avons déjà atteint la zone des villas de Paris.

Après la pluie d’orage de l’après-midi, le ciel ne s’est toujours pas éclairci. Le temps est maussade dans un silence sépulcral. On n’entend plus le moindre coup de feu, mais le calme opaque et impénétrable de cette journée – il est maintenant 7 heures – ne laisse pas d’être quelque peu sinistre.

Où sont les Français ? Nous ne le savons pas. Quelque part entre les maisons et les jardins. Il est toutefois certain qu’ils ne sont pas encore repliés, même s’ils ne tirent plus pour le moment. Ont-ils reçu notre message radio ? Nous attendent-ils ? Sans avoir eu à nous en donner le mot, nous sommes devenus moins loquaces et ne nous entretenons qu’à mi-voix dans une atmosphère d’incertitude.

Il nous faut une trompette, car il sera bon d’attirer l’attention à sonnerie cuivrée ; le drapeau blanc ne pourrait que trop aisément échapper aux regard à un tournant du chemin que nous suivrons. Emmenons donc un clairon de, la compagnie de pointe, le meilleur qu’elle ait et roulons plus avant.

Comme officier d’ordonnance, je suis dans la première voiture, derrière moi se trouve le clairon et à côté le sous-officier G. avec le drapeau blanc. Au sommet d’une hampe, il est vrai, trop courte, de sorte que nous ne pouvons pas le brandir aussi haut et aussi visiblement que nous le désirerions.

Mais les Français doivent nous attendre, sinon ils continueraient leur feu. Derrière nous, dans la seconde voiture, nous serrant de près le commandant G. et le capitaine M.

En route pour le « no man’s land ».

Nous descendons à vitesse modérée une petite colline, pour remonter ensuite la route qui est en pente douce. Devant, oblique à droite du fort silencieux, une épaisse colonne de fumée noire apparaît à nos regards.

Nous relevons tous le fait. Pareille colonne avait aussi dominé Anvers. Les Français auraient-ils déjà commencé à incendier leurs réservoirs ? Si oui, c’est que leur départ est certain.

Nous pressons l’allure. Quelques maisons avec leurs persiennes fermées, des jardins et un village allongé. Je fais signe au clairon et alors il sonne à pleins poumons, debout dans la voiture le « Cessez le feu ! » : une fois, deux fois, trois fois. Comme on devait le fait 12 jours plus tard sur le tout le front occidental après la conclusion de l’armistice.

Mais aucune réponse.

De sorte que nous avançons de plus en plus. Sentiments étrange que celui que l’on éprouve à s’enfoncer ainsi dans l’inconnu ! Et toujours pas de Français, pas d’officier français nous attendant. Tout autour, rien qu’un silence d’affût interrompu parfois sur le flanc gauche par des percussions d’obus. A droite, par contre, des flammes rouges léchant le réservoir en feu sous l’assombrissement d’un ciel de suie.

Un incident !

Voilà que tout à coup une barricade se dresse devant nous en travers de la route. Nous ralentissons notre vitesse et j’ordonne au clairon de sonner encore de toutes ses forces. Nous roulons à l’allure du pas. Aucun doute, là devant nous  est la croisée des routes nationales Paris-Calais et Paris-Dunkerque ; c’est là qu’ils doivent nous attendre.

Je crie « halte ! » et nous nous arrêtons brusquement, la voiture qui nous suit fait de même. Je descends et me dirige vers la barricade. Elle est peut-être encore à 150 m de nous. A droite, de petites maisons précédées de jardinets, à gauche, des baraques et des chantiers en bois.

Et maintenant nous croyons bien voir à côté de la route quelques silhouettes qui passent rapidement.

Subitement, nous sommes accueillis par des feux, là tout près.

« Halte ! » crions-nous de toutes nos forces en agitant le drapeau blanc. Mais la fusillade redouble. Nous sautons sur le côté droit de la route pour nous couvrir et crions une fois encore à pleine voix. Mais par là précisément nous avons rendu ceux d’en face enragés car ils tirent maintenant comme des fous furieux. Et voilà des mitrailleuses de position de retraite qui commencent à mêler au concert leur tact tac rapide.

Nous nous trouvons dans une impasse diabolique ! Devons-nous revenir à la route ?

L’adversaire tire mal. La première voiture que nous venons de quitter n’en est pas moins déjà atteinte de nombreuses balles. Quant à la seconde, sur laquelle le caporal R. est immédiatement remonté, elle rebrousse chemins à pleins gaz. Nous sommes donc forcés d’aller à pied.

Nous essuyons des coups de feu de tous côtés. Ceux qui sont derrière la barricade ne semblent pas avoir la moindre idée qu’ils ont affaire à des parlementaires allemands, soit qu’ils ne peuvent s’en rendre compte, soit qu’ils ne le veulent pas. Se risquer encore une fois sur la route, même avec le drapeau blanc, serait courir à sa perte. Que faire ?

Nous sommes à près de 5 km. De nos premiers postes et seulement à 200 M. de l’ennemi. Devons nous attendre que la nuit tombe ? Mais jusque-là il se passera des heures et nous n’aurons pas rempli notre mission. Il ne nous reste qu’à nous frayer un passage pour regagner nos troupes et à renouveler la tentative sur un autre point.

Sous la protection du mur d’un jardin, le commandant rassemble sa petite troupe. Nous sommes six : 3 officiers, 1 sous-officier, 1 clairon et le chauffeur de l’auto démolie par les balles. Seulement, eu égard à notre mission pacifique, seuls les officiers ont emporté des armes, chacun un pistolet avec 8 cartouches ; nos soldats sont sans armes.

Satanée situation si nous avions à nous défendre, la plus abominable dans laquelle nous nous soyons jamais trouvés nous autres qui avons déjà fait la Grande-Guerre.

Et maintenant, voici que l’artillerie ennemie commence à tirer et à balayer systématiquement la route et ses abords immédiats. Ca va de mieux en mieux !

En pleine tourmente

        Cela nous amuse presque de sauter l’envi comme pendant la Grande-Guerre, à cache-cache avec les obus et d’aller souffler chaque fois derrière la maison la plus proche. Mais nous courons le risque de nous disperser et de nous perdre de vue. Quel sera alors notre sort ? Nous pouvons être dégringolés isolément et rester sur place. Car l’infanterie ennemie continue à tirer. Ce ne sont que sifflements, sibilations et stridulations de balles et félissements de coups de travers. C’est toutefois une consolation pour nous que ces gens tirent si mal et beaucoup trop haut, n’atteignant que les brindilles d’arbres.

Notre randonnée de parlementaires vers Paris s’est transformée en une entreprise de patrouille de reconnaissance malgré nous.

Car nous remarquons qu’à St. Brice également, St. Brice, le village que nous avions traversé sans encombre, il y a encore des Français cachés. Là devant, en voici qui sautent à travers la rue. Sont-ce des soldats isolés ou une compagnie qui a perdu le contact de sa formation ? Nous ne le savons pas. Tireront-ils ou se dissimuleront-ils ? Cela aussi est incertain. Nous passons de désagréables minutes, longues comme des siècles lorsqu’au tout premier feu en rafales que nous subissons, nous ne savons plus ce qu’est devenu notre vieux camarade, le capitaine. Et la traversée du village n’en finit pas : un rang à droite, un rang à gauche, c’est ainsi qu’on longe les maisons ; nous autres qui avons des pistolets, en avant, l’arme prête à faire feu dirigée sur le côté opposé de la rue. Vont-ils nous surprendre ou nous abattre par derrière ? Nous n’avons, tous réunis, que 24 coups à tirer.

Mais plus un Français !

Enfin, à l’autre bout du village…les nôtres. Dieu soit loué ! Ce sont de fortes patrouilles qui viennent à notre rencontre. Entendant le vacarme du combat, on a présumé du « vilain » et on nous a dépêché des hommes triés sur le volet. Ils n’ont pas à nous dégager. Les voici qui nous reconnaissent, qui nous font des signes et en un clin d’œil ils sont là nous serrant la main. Cette randonnée de parlementaires le soir du 13 juin 1940 fut vraiment une odyssée, qui n’a pas été sans répercussions pour les deux doyens de l’expédition que nous étions, le capitaine M. et moi – le capitaine M. nous avait entre-temps rejoints sain et sauf. Sans entraînement, la première reconnaissance, arme au poing, depuis 22 ans !

A Ecouen

        Qu’est devenue notre mission à Paris dans tout cela ? Est-elle terminée ? Que non, elle n’a même pas encore commencé. Le commandant H. a décidé que nous l’exécuterions. Nous savons à sommer Paris de se rendre et nous le ferons coûte que coûte. Si ce n’est pas cette nuit, ce sera demain dès patron-minet. Car, l’entrée des troupes allemandes dans la capitale de la France est fixée à demain 9 heures. Rien à changer au programme. Les ordres sont préparés et vont être distribués, cette nuit même aux différents cops d’armée et de ceux-ci aux divisions et aux régiments.

Et ce qui paraissait absolument impossible, voire invraisemblable, se réalise comme cela a si souvent été le cas dans cette guerre. De retour nous télégraphions par TSF au gouverneur de Paris pour protester contre notre « marmitage » et nous téléphonons au Grand-Quartier pour en obtenir de nouvelles instructions. Nous cherchons le groupe de reconnaissance et nous le trouvons : c’est le détachement allemand le plus avancé et il a atteint la très vieille petite ville d’Ecouen au Nord de St. Denis. Et vers minuit, après des heures d’attente et de tension suprême, nous savons enfin que, malgré le feu qui nous a accueillis, nous autres parlementaires, encore la veille au soir, Paris est à bout. Il a été proclamé ville ouverte et il capitulera. Il n’est plus du tout nécessaire que nous allions personnellement le sommer de se rendre. Demain de grand matin des parlementaires français arriveront à Ecouen pour recevoir de nos mains les conditions de notre Grand-Quartier.

Et à 9 h. du matin l’armée du général d’artillerie von Küchler se met en marche pour faire son entrée dans la capitale de la France.

La capitulation

        Nous n’oublierons jamais ni le 1’ juin, ni le matin grisâtre et brumeux de la capitulation. Nous attendons les parlementaire français à Ecouen au quartier de l’état-major du groupe de reconnaissance des troupes de Prusse orientale. C’est dans une maison spacieuse, pour nous presque un château, située dans la rue de Paris, que les pourparlers doivent avoir lieu. On y a disposé à cette fin une vaste pièce, une chambre à musique avec un grand piano noir à queue. Comme par suite à l’épais brouillard le jour ne veut pas se décider à venir franchement, des bougies brûlent sur la table dans de petits chandeliers. Mais devant les fenêtres, soigneusement camouflés à l’aide de branches, se dressent les chars blindés du groupe de reconnaissance. Ils paraissent dormir, la guerre est encore en sommeil sans être terminée. Il y a là une ultime tension, sera-t-elle suivie, aujourd’hui encore, d’un nouveau déclenchement ?

Vers 6 heures du matin on m’envoie au poste de commandement de corps d’armée le plus proche pour téléphoner au Grand-Quartier et recevoir les dernières instructions.

A mon retour, les Français sont déjà là. Leur voiture avec le drapeau blanc est arrêtée devant le portail du jardin. Nous avons fait le nécessaire pour qu’elle n’ait pas eu à essuyer notre feu. Sur le perron de la maison un grand sergent de la garde mobile est déjà en position. Il salue solennellement, presque avec un sourire poli dans son grand visage ouvert, qui n’a rien de français.

Dans la chambre à musique, les pourparlers sont déjà en cours. En face de notre commandant et du capitaine ont pris place un petit officier d’état-major français tout modeste, le représentant du gouverneur de Paris, et un gros lieutenant, l’interprète français.

A vrai dire, on ne négocie pas du tout. On fait connaître aux Français les conditions auxquelles le commandement suprême de l’Armée allemande est disposé à ne pas considérer Paris comme zone des armées. Les différents points de ces conditions sont concis et clairs. Ils sont conformes aux intérêts des troupes allemandes entrant dans la ville comme à la sécurité de celle-ci.

Le commandant H. les lit à haute voix, lentement et nettement. Ils sont traduits point par point. Les Français légèrement penchés en avant sur leurs sièges écoutent très attentivement. Après la traduction de chaque point le commandant approuve discrètement d’un signe de tête. Il y a alors toujours d’absolu silence où l’on entend que le charbonnement des bougies ou, parfois, le pas de la sentinelle devant les fenêtres. Ce n’est que peu à peu que le temps s’éclaircit.

Les Français prennent encore connaissance des conditions allemandes. Ils n’ont rien à objecter ; parfois seulement le commandant français interroge à mi-voix l’officier qui l’accompagne. Puis, l’officier d’état-major allemand poursuit sa lecture. En lisant il est l’objectivité même ; aucune trace de triomphe sur son visage impassible. De temps en temps cependant il regarde les Français de ses yeux bleus de soldat comme pour les sonder, puis il report sur le feuillet qui décide du sort de la capitale de la France.

Dernière émotion

        Sur un point, toutefois, l’on ne tombe pas d’accord. Que comprend-on sous le vocable « Paris » ? Nous estimons, nous, qu’il comporte également la banlieue, les Français pensent qu’il n’englobe que la ville proprement dite, pour laquelle seule ils avaient les pleins pouvoirs. Le commandant allemand se lève alors : il ne saurait être question de continuer les pourparlers. C’est la seule fois qu’il hausse le ton et que l’on constate en lui une rigueur toute militaire.

Les Français sont visiblement perplexes et embarrassés. Que doivent-ils faire ? Ils jurent leurs grands dieux que, même dans les faubourg du Sud de la ville, l’on ne fera plus aucune résistance.

Bon ! Ce sera aux autorités supérieures à décider.

Notre commandant se rend lui-même au poste de commandement le plus proche pour téléphoner par ligne directe avec son commandant en chef et le chef d’état-major, de ce dernier, le général M. S’il n’est pas de retour dans une heure, c’est que les pourparlers doivent être considérés comme ayant échoué. Et alors à 9 heures du matin les escadrilles de bombardiers allemands feront rage sur Paris, littéralement à en obscurcir le ciel. Puis ce sera le début de l’attaque concentrée de l’armée allemande avec son artillerie lourde et son artillerie A.L.G.P[3][3]. toutes prêtes à dire leur mot. Voilà ce que le commandant H. ajouta avant de quitter ses interlocuteurs qui demeurèrent sans souffler mot. Au bout d’un moment nous entamâmes la conversation avec eux sur un terrain neutre, tout en fumant une cigarette.

Notre conversation avec les Français a cessé. Une demi heure passe, 40 minutes. Le commandant n’est toujours pas là. Les Français ne perdent pas la pendule des yeux ; ils sont fiévreux et tressaillent quand les moteurs des chars qui se trouvent dehors commencent à pétarader. On peut voir à leur contenance qu’ils cherchent nullement à masquer qu’ils ont peur pour Paris, pour le beau et gai Paris, cette ville de toutes les jouissances, même factices. Et aussi pour le symbole de la puissance mondiale de la France.

A 5 minutes de l’heure fatale, le commandant H. est enfin de retour.

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Figure 3 : Ecouen, le 14 juin 1940, 7hrs. 20. Reddition de Paris. Le commandant G. du grand état-major allemand et le négociateur français, le commandant R. pendant les pourparlers. A gauche, le capitaine M., l'interprète allemand.

Les Français signent :

        C’était le 14 juin vers 7h. «30 du matin : Paris, la capitale de la France, jusque-là le plus grand camp retranché du monde, a capitulé. Capitulé sans conditions. Le commandant français appose son nom sous le document que nous avons apporté. Il règne un silence de mort. La seule vie est celle des bougies qui continuent à brûler.

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Figure 4 : Ecouen, 14 juin 1940, 7 hrs. 40 du matin. L'officier allemand qui a dirigé les pourparlers prend congé du négociateur français après apposition des signatures.

Je dois un moment me détourner pour maîtriser discrètement mon émotion.

« Paris à capitulé ! » C’est en poussant ce cri que notre ordonnance s’est précipité dans le jardin. Il tombe tout chaviré dans les bras d’un chasseurs de chars. Et voilà les chasseurs qui accourent de tous côtés. Il semble un moment qu’ils vont jeter leur casquette en l’air et se livrer à tous les transports d’une joie débordante, sous l’impression de cette émouvante communication réciproque « Paris a capitulé ! »

Mais au même moment, les Français apparaissent sur le perron de la maison. Aussitôt, la discipline allemande de l’emporter : « Garde à vous » ; aussitôt tous saluent l’ennemi vaincu la main levée. Ils suivent réglementairement des yeux, comme à une revue, la délégation de l’adversaire qui a tout perdu, fors l’honneur, et qui vient confier sa capitale à la générosité du vainqueur.

Ils rompent alors les rangs pour se préparer à l’entrée dans la Ville-Lumière.

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[1][1] Extrait de la revue Signal n° 8 du 25 juillet 1940. Transcription intégrale.

[2][2] Georg von Kuchler : Né le 30/05/1881, mort le 25/05/1968. Général der Artillerie (04/1937), Généraloberst (07/1940), Généralfeldmarschall (06/1942). Il commande la XVIII Armée à partir du 5/11/1939.

[3][3] A.L.G.P. : artillerie lourde à grande portée.